
“Il arrive quand le prochain courant artistique ?” – Les gens dans les musées
23 Mar
Percevoir le temps au pays des synesthètes
23 Feb“Haïkus sans fleurs de cerisier”, recueil de poésie infraordinaire
18 SepJe poste ici mon recueil de haïkus expérimentaux, à mi-chemin entre le carnet de voyage et l’autobiographie. Fruit d’un travail d’écriture de huit ans, j’ai choisi la forme du haïku pour saisir d’infraordinaires moments. J’ai essayé de conserver la trace des images traditionnelles que le haïku japonais a l’habitude de traiter.
J’envisage à terme de les publier, toute proposition éditoriale est la bienvenue.
Bonne lecture
De l’enfance et des ogres
Fauteuil en cuir brun
Bien trop confortable
Il t’a englouti !
/
Boucle du grand huit
Des cris. Des cheveux
Précèdent les rails
/
Ont faim les chardons
Dévorent les mollets nus
Des enfants qui jouent
/
Plantes sur la dune
Semblables à du foin. Broutées
Par le haut des vagues
/
L’arbre pour l’enfant ?
Un prétexte à cabane
À tailler des flèches
/
Déjà plus l’automne
Novembre est inutile
Noël est bien loin
/
Chaude et protectrice
La voix de l’actrice
Répare les verres
/
Les mamies d’antan
Enfournant le lourd pain blond
Et puis l’amour brut
/
Guettant la porte
Ça fait plus mal que le deuil
Son chat disparu
La densité du temps scolaire
Fraîchement rasés
Les jeunes garçons aux joues
Ont quelques coupures/
/
Partiel de philo
Calme. Dehors l’employé
Passe la tondeuse
/
Elles boivent un déca
Chevelures innocentes
Les deux lycéennes
/
Ces débris antiques
Amphores enfouies sous la mer
Comment les compter ?
/
Toujours dessinée
La cicatrice au poignet
Lui reproche un peu
/
Il croyait en l’art
À force il ne voit plus que
Du patrimoine
Les lieux sans âme
Dans l’arrière-cour
Pourquoi ces frigos cassés,
Chaussures trouées ?
/
Toutes le même goût
Les confitures d’hôtels
Étrange hasard ?
L’hiver feutré
Bottes éclaboussées
Flaques de grêlons
Dans la nuit gercée
/
Dimanche matin
L’éternité dans la neige
Attendra le bus
/
Et les grands s’agitent
Autour des coussins soyeux
Le chat gris s’endort
/
Elles font trois pas
Les étoiles d’Orion
Sur la nuit bleutée
/
On voit au sommet
Les anneaux de Saturne
Sur les pics neigeux
/
Jamais le Soleil
Ne cèdera à la Lune
Été islandais
/
La Terre aplatie
Interdit la nuit d’été
Aux contrées du Nord
/
L’amour c’est pour eux
Les vacances de l’âme
Légers pas dans l’herbe
/
Ici le Soleil
Veille sur la nuit. L’enfant
N’a plus peur du noir
Haïkus du chemin
Cliché japonais
Cependant vous me touchez
Fleurs de cerisier
/
Bruit sec de branches
Pour faire un bâton de marche
Oiseaux s’envolent
/
Vaches placides
Dans la ferme à l’aurore
Cheval détale
/
Douce sous mon dos
L’herbe grasse du printemps
Où part le soleil ?
/
Eclair de chaton roux
Roule autour du cerisier
S’endort en boule
/
Elle voit le monde
Avec un regard nouveau
Ils disent handicap
Le Soleil au sud
L’épave rouillée
Terrain de jeu en silence
Légers poissons bleus
/
Il gâche la vue
L’arbre de la terrasse
Sans cacher l’été
/
Les poulpes sèchent
Et sur la corde à linge
L’apéro frémit
/
Un silence aigu
Vibre au fond du sac
Attend un texto
/
Sculpture en cheveux
Équilibre de forces
Chignon de l’actrice
Un monde bavard d’associations : traversée d’un quotidien synesthésique
26 Nov
Le musée impossible – Variation oulipienne vers d’absurdes classifications de musées
8 Nov“Songe à la douceur” de Clémentine Beauvais, épopée réjouissante en territoire adolescent
6 Oct“Parce que leur histoire ne s’était pas achevée au bon endroit, au bon moment,parce qu’ils avaient contrarié leurs sentiments,
il était écrit, me semble-t-il, qu’Eugène et Tatiana se retrouvent dix ans plus tard,
sous terre,
dans le Meteor, ligne 14 (violet clair), un matin d’hiver.”
“ Il a le mal d’un siècle qui n’est pas le sien ;
Il se sent l’héritier amer d’un spleen ancien.
Tout est objet d’ennui pour cet inconsolable-
Ou de tristesse extrême, atroce, épouvantable.
Il a tout essayé, et tout lui a déplu.
Il a fumé, couché, dansé, mangé et bu,
Lu, couru, voyagé, peint, joué et écrit :
Rien ne réveille en lui de plaisir endormi.
Souvent, il imagine, au rebord du sommeil,
Dans un futur lointain l’implosion du soleil.
Puisqu’un jour tout sera cette profonde absence, Pourquoi remplir en vain notre vaine existence ?
Pourquoi se dépenser en futiles efforts
Dans un monde acculé au couloir de la mort ?
Qu’ils sont laids et idiots, ceux qui se divertissent,
Ceux qui se perdent en labeur ou en délices,
Ceux qui travaillent, ceux qui aiment, ceux qui chantent,
Pour oublier le vide intense qui les hante !
Eugène, à dix-sept ans, a tout compris sur tout :
Et comme tout est rien, il ne fait rien du tout. “
Précarité et vulnérabilité – Manger à l’université, notes infraordinaires
11 JulAprès sept années passées dans différentes universités, je remarque que la nourriture apportée par les étudiants circule avec une régularité étonnante.
J’aime beaucoup la période des partiels. La table de chaque étudiant suit une organisation spatiale bien précise. On distingue généralement l’ovale d’un sachet de biscuits Petit déjeuner, une compote à boire, un demi kinder bueno, deux mandarines empilées l’une sur l’autre dans un équilibre instable, l’inévitable demi bouteille de Cristalline et parfois un thermos Totoro.
*
Un goûter improvisé dans un couloir ou dans une salle de cours inoccupée. Il n’y avait pas assez de place à la cafét’. Quatre étudiantes partagent un brownie acheté au Lidl d’en face. L’une d’elle a fait de l’ice tea maison au matcha. Sa voisine partage un tuperware rempli de cerises. Elles viennent du jardin de chez mes parents, j’y étais le week-end dernier.
*
A la cafet’ deux étudiantes en première année de licence ouvrent avec délicatesse un bento contenant du kimchi maison. Dans l’étage du dessous, des cookies au gingembre confit. Tout est bio, je viens de les finir ce matin, ça coûte un bras mais le goût est meilleur.
*
Pour le dernier cours avant les soutenances de master, le prof a proposé de faire un pot. Quatre étudiants font circuler un paquet de Dragibus. Le prof a amené un cake à la rhubarbe. Les Dragibus noirs ont plus de succès.
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Il y a du rab de frites au Restau U. Vent de joie dans les tables. Cliquetis d’assiettes. Trois étudiants improvisent une chanson dont les paroles sont, peu ou prou : J’ai deux amours, les frites et les cookies.
***
Une joyeuse profusion de nourriture sucrée. Et tout près, trop près, la brutalité de la précarité financière étudiante.
*
A la fin de leur repas au restau U, deux étudiants prennent discrètement du pain dans la corbeille et trois échantillons de mayonnaise, moutarde, ketchup. Personne ne les a vus. L’un d’eux sourit et prend une voix de grand-père pour dire à son ami : Les temps sont durs mon petit, c’est plus ce que c’était, cette semaine, ça va être pain-mayo tous les soirs.
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Pique-nique improvisé au parc d’à côté entre deux cours d’histoire. Un des étudiants a pris ce qu’il restait dans sa cuisine : deux tranches de pain de mie Top Budget. La garniture, ce sera quand le Crous aura versé les bourses. Il mange son sandwich au pain avec une infinie discrétion. Il préférerait quitter l’université plutôt que ses amis s’en rendent compte.
*
Quatre étudiantes passent dans le hall de l’université. Un grand buffet rassemble des chercheurs en linguistique venus assister à un colloque sur l’intertextualité. L’une d’elle, souriante : Tu penses qu’on peut piquer un samossa ? Genre discrètement ?
*
Fin du séminaire doctoral. Le professeur propose d’aller fêter ça autour d’un verre. Gêne d’un doctorant, 5 euros la pinte, même en happy hour, c’est un budget. Le professeur ne comprend pas, Vous ne voulez pas venir ? C’est important le réseau vous savez. Finalement il se joindra au groupe et commandera un expresso, un euro cinquante. Il partira avant que le groupe n’aille au restaurant, prétextant un article urgent à terminer.
*
Tant de situations où la honte l’emporte, là où on ne met pas de mots pour entendre, reconnaître et apaiser.
Maintenant que je suis enseignante-chercheuse et que j’ai un salaire qui me permet de d’insérer une garniture dans mes sandwichs, j’essaie d’être encore plus sensible à cette précarité quotidienne. J’essaie de ne pas faire comme si je n’avais pas vu, de ne pas me voiler la face.
L’argument type je suis déjà passée par là, chacun son tour n’est pas recevable. Les collègues qui banalisent cette précarité sous couvert d’élitisme m’interrogent profondément.
Simplement se rendre compte et compatir, se rappeler sa façon de gérer un budget à 19 ans.
En recueillant ce quotidien, prendre la mesure de la précarité étudiante et de la vulnérabilité de leur budget.
Et peu à peu, prendre de nouvelles habitudes, des détails anodins : faire acheter le plus d’ouvrages possibles à la bibliothèque universitaire, diffuser davantage les articles en libre accès sur HAL, permettre aux étudiants de passer des tests d’anglais gratuits en ligne quand le TOEIC n’est pas nécessaire, leur apprendre à argumenter pour que leur stage soit rémunéré, parfois même le faire avec eux quand on connaît l’entreprise, cuisiner une fournée de cookies à amener lors du dernier cours, faire une lettre de recommandation pour l’obtention d’une bourse de mobilité… Une discrète économie de la sollicitude (mélange d’attention et d’empathie, ce qu’on appelle en anglais care dans les réflexions sur l’ethics of care) qui me semble aller de soi.
Mais pour beaucoup de collègues, c’est de la perte de temps et de la sensiblerie.
Et continuer de regarder l’université comme un monde neuf et étrange, ne pas s’endurcir face aux fragilités, cultiver une sensibilité éclairée.
***
Pour en savoir plus sur l’éthique de la sollicitude :
-Fabienne Brugère, L’éthique du “care”, collection “Que sais-je ?” PUF, 2011.
-Pascale Molinier, Sandra Laugier, Patricia Paperman et al., Qu’est-ce que le care ? : Souci des autres, sensibilité, responsabilité, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2009,
-L’article Wikipédia est également très bien fait : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89thique_de_la_sollicitude
“Ce qui ne me sera pas rendu” – L’infraordinaire d’un burn out dû au harcèlement moral et sexiste à l’université
11 Jul

Générateur de noms de lieux culturels mainstream à tendance participative et disruptive
7 OctUne certaine uniformisation syntaxique des noms de lieux culturels étant en train de sévir actuellement (Gaieté Lyrique, Hasard Ludique…), nous ne pouvions laisser les collectivités locales sans un outil clef en main pour nommer et décrire ces tiers lieux disruptifs et novateurs.
Voici la procédure :
/// Choisir un mot de la liste 1
Fabrique / Friche / Guinguette / Wagon / Salon / Navette / Cabane / Cabanon / Cabaret / Chambre / Studio / Grange / Hangar / Baraque / Sarcophage / Bistrot / Boudoir / Sérendipité
/// Rajouter un mot de la liste 2
Euphorique / Synesthésique / Electrique / Ironique / Atypique / Poétique / Éclectique/ Dithyrambique / Psychédélique / Maléfique / Onirique / Cosmique / Flottant / Oxygéné / Aérien
/// Ce qui nous donne
La guinguette électrique ? Le wagon euphorique ? Le bistrot cosmique ? La sérendipité épique
En voilà un beau nom de lieu culturel !
/// Et maintenant, avec quel discours mainstream enrober ce lieu ?
1. Piocher au hasard un substantif
Fabrique / Tiers lieu / Atelier
2. Puis piocher quelques adjectifs
Co-créatif / ludique / numérique / disruptif / participatif / innovant / alternatif
3. Mixez le tout sans vergogne !
Ex : la sérendipité épique est un tiers lieu disruptif et co-créatif au service du numérique participatif proposant des ateliers ludiques et innovants
Le chagrin d’ami, cette rupture à laquelle nous ne sommes pas socialement préparés
6 DecTout le monde en conviendra, certaines ruptures amicales sont infiniment plus douloureuses que des déconvenues amoureuses. Et pourtant on observe dans les médias et les récits fictionnels une surreprésentation des chagrins d’amour par rapport au chagrin d’ami. Il y a bien des représentations de ruptures amicales dans les récits de fiction, mais force est de constater qu’il n’y a pas de film spécial chagrin d’ami, comme certaines personnes regardent des films cultes pour se remettre d’une rupture. Dans le chagrin d’ami, point de stéréotype, point de comédie romantique à regarder, avachie face à un pot de nutella, point d’amis qui vous sortent de force pour boire un verre.
Il y a également peu de possibilités de faire des crises de jalousie. Prenons le cas classique où une connaissance rencontre de nouveaux amis et s’éloigne peu à peu de son cercle de proches. On ne s’imagine pas décemment aller voir son ex-ami pour à genoux lui demander ce qu’il a de plus que nous ?
La rupture amicale n’est en rien ritualisée par des étapes précises et c’est précisément ce qui rend son deuil d’autant plus ardu.
Quand dans la rupture amoureuse, la partition des objets acquis en commun est une étape permettant de matérialiser la fin de la relation, il y a rarement en amitié cette possibilité d’aller chez l’autre pour lui rendre tous ses cadeaux ou de faire le partage des biens pour commencer à se reconstruire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on a plus de chance de retrouver ses DVD après un chagrin d’amour qu’après qu’un chagrin d’ami.
En outre, l’absence de rites pour marquer le chagrin d’ami peut rendre la rupture d’une violence inouïe. Souvent, seule une distance diffuse et impalpable sépare les anciens amis, quelques messages qui restent sans réponse, ce qui est encore plus triste et cruel, car il manque la coupure nette d’une rupture permettant de marquer le début du deuil.
En amitié on ne se sépare pas, on s’est perdus de vue. Ce n’est pas la distance qui fait mal, ce sont les tentatives maladroites pour reprendre des nouvelles depuis le temps. Et que dire des amoureux qui étaient également des amis. La douleur double-t-elle ?
En tapant « chagrin d’ami » sur un moteur de recherche, on trouve des centaines de témoignages passionnants. Des psychologues comme Danièle Brun s’accordent à souligner la force de la passion à l’œuvre dans l’amitié. Elle explique notamment que le mythe de l’amitié éternelle qui dépasse aujourd’hui celui de l’amour (dévalué dans le divorce et la menace de la séparation) nous fait vivre sous la pression de relations amicales durables. On constate alors, lors des ruptures amicales, que nous manquons cruellement de discours sociaux sur ce genre de douleurs pour trouver les bons mots à mettre dessus et débuter la reconstruction.
Alors, inventons des films, des romans, des séries TV, avec les mêmes clichés que les amoureux, mais adaptons-les à l’amitié ! Inventons des formes sociales où couler cette tristesse afin qu’elle devienne du domaine du dicible. De même qu’il existe une culture du chagrin d’amour, je vous propose d’inventer les codes du deuil du chagrin d’ami.
De l’urgence d’utiliser l’expression « chagrin d’ami »
*Les tout juste plaqués liront les fameux Fragments d’un discours amical de Barthes.
*How I met your mother ? sera remplacé par How I met my best buddy ? et raconterait la naissance du sentiment amical.
*Sex and the city serait Friendship in the city et détaillerait la façon dont les relations amicales se créent et se délitent dans un mode de vie urbain.
*Love Actually deviendrait Friendship actually et dresserait le portrait de différentes histoires d’amitié. On pleurerait, on s’identifierait, il y aurait un bon coup de catharsis dans tout ça et tout le monde irait beaucoup mieux !
*D’autres liront Les Essais de Montaigne en pleurant et en balbutiant : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi »
*Ceux qui désirent entretenir une philia sincère reliront L’Ethique à Nicomaque en espérant secrètement rencontrer LA grande amitié, celle qui dure toute une vie.
*Adaptons certains proverbes :
Un ami de perdu, dix de retrouvés !
L’amitié est aveugle
Heureux aux jeux, malheureux en amitié
Les histoires de potes finissent mal en général
L’amitié est enfant de bohème, elle n’a jamais jamais connu de loi
On ne badine pas avec l’amitié
Seule limite à ce jeu de réécriture : je ne tolèrerai pas que Marc Lévy, Guillaume Musso ou E. L. James transvasent leur mièvrerie à l’eau de rose sur le sentiment amical.
Et pour les devancer, afin qu’ils ne commettent pas cet odieux forfait, j’ai moi-même écrit un début de roman amical dans leur style. L’expérience a été tellement éprouvante que je me suis brûlée la rétine au deuxième degré en relisant le premier brouillon. Mais cette aventure aux limites de la littérature niaise m’a néanmoins permis de reconnaitre mes vrais amis. C’étaient ceux qui, durant ma longue convalescence oculaire, ont su m’apporter du sérum physiologique et des moelleux aux schokobons en me lisant du Boris Vian.
Car ce que cet article omet de décrire, c’est l’intensité du phénomène inverse : il existe également un coup de foudre amical, une passion amicale et un bien-être incroyable à se sentir entouré par des personnes authentiques.
Photo : Discarding images