Pourquoi les titres constituent souvent la meilleure partie du livre ? Éloge de la lecture minimaliste

1 Apr

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J’ai un peu honte de l’avouer mais ce que je préfère fréquemment dans les livres, ce sont leurs titres.

Quand on y pense, l’histoire des titres a toutes les raisons de fasciner le lecteur. N’est-ce pas incroyable de savoir que La nausée sartrienne s’appelait originellement Melancholia ? C’est l’éditeur qui a orienté Sartre vers ce nouveau titre. Or, en ayant entre les mains un ouvrage nommé Melancholia, la lecture du livre (et sa réception vraisemblablement) eut été totalement différente. On n’écoute pas assez ce que les titres ont à nous dire. Le titre est lu en premier et la suite de la lecture du livre sert à nous conforter dans l’explication du choix de ce titre. Les étudiants en littérature auront effleuré les concepts de contrat de lecture et d’horizon d’attente, mais pas plus…

Remédions céans à cette injustice. Je vais parler ici uniquement des titres des livres, tant je considère que ces métadonnées énigmatiques, véritables litotes prometteuses, sont des œuvres d’art à part entière. Parfois, je n’ai pas lu l’œuvre intégrale, mais je compte vaguement me protéger derrières les arguments ad hominem du grand Pierre Bayard, auteur du sublime Comment parler des livres que l’on a pas lus ?

Je profite de cet espace pour déclamer mon amour pour les titres longs. Quel petit vélo chromé au fond de la cour ? de Georges Perec a une place attitrée dans mon cœur. L’étonnant Quand Hitler s’empara du lapin rose de Kerr Judith attire également toute mon attention.

J’aime particulièrement les titres longs en ce qu’ils présentent des petits haïkus, des mini-nouvelles ou des micro-récits qui se suffisent presque à eux-mêmes ! C’est le cas du film Peindre ou faire l’amour. Est-il vraiment besoin de regarder le film puisque le titre nous dit déjà tellement sur les enjeux premiers ? Au contraire, certains titres sonnent comme des prophéties ou des sujets de dissertation. Le film de Valeria Bruni-Tedeschi : Il est plus facile pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille que pour un riche d’entrer au royaume des cieux est l’un d’eux.

J’ai également une préférence pour les titres d’ouvrages philosophiques. L’existentialisme est un humanisme de Sartre joue à résumer le propos essentiel du livre avec une sobriété presque impertinente. On pourrait croire que les romanciers sont les plus inventifs dans le domaine, or, il se trouve qu’il faut surtout saluer les philosophes !

**L’énigme des miettes philosophiques**

J’avouerai alors avoir un petit faible pour Kant… Les trois critiques m’apparaissent déjà comme une progression ternaire et dialectique à la fois fluide et soyeuse : critiquons la raison pure, la raison pratique et pourquoi pas la faculté de juger ! En 1793, il écrira un ouvrage dont le titre me ravit au plus haut point : Sur l’expression courante : il se peut que ce soit juste en théorie, mais en pratique, cela ne vaut rien. On vous aurait dit que l’auteur de l’essai était Queneau ou Perec, vous y auriez cru, hein ? De la même façon, son Projet de paix perpétuelle me laisse songeuse et je me réjouis à l’idée de lire ses Prolégomènes à toute métaphysique future qui voudra se présenter comme une science. Enfin, Sur un prétendu droit de mentir par l’humanité et Sur le mal radical m’apparaissent comme des titres de livres de Pierre Desproges.

Il y a des livres de philosophie dont le seul titre suffit à susciter des interrogations et qui feraient de bons sujets au bac de philo. Je dois pour cela citer Kierkegaard et son Post-scriptum aux miettes philosophiques, Nietzsche qui dans ses titres poétiques : Par-delà le bien et le mal, Généalogie de la morale, Le gai savoir atteint la forme la plus concise de questionnement éthique et ontologique. Mes favoris du même auteur demeurent : Vérité et mensonge au sens extra-moral ainsi que Considérations inactuelles. L’éthique à Nicomaque d’Aristote, enfin, me ravit par sa douce allitération.

Certains titres au contraire intriguent, comme Gros câlin de Romain Gary (que j’ai lu uniquement à cause de son titre) ou Histoires du pied de Jean-Marie Gustave Le Clézio.

Si ces derniers titres peuvent paraître inattendus, certains auteurs semblent s’astreindre au contraire à une constance stylistique dans leurs titres. Inutile d’aller jusqu’aux titres de la collection Harlequin ou de la collection Chair de Poule qui sont les plus faciles à plagier et subissent de nombreux pastiches. Le cas d’Amélie Nothomb est intéressant en ce qu’on peut facilement reconnaître ses romans à partir de leurs titres : Hygiène de l’assassin et Cosmétique de l’ennemi sont deux beaux exemples de parallélismes sémantiques. De la même façon, les titres de Marguerite Duras entretiennent tous le même mystère : Le ravissement de Lol V. Stein, Moderato Cantabile ou Des journées entières dans les arbres, des titres qui sentent bon le flou thématique et ne promettent rien de particulier sur le plan narratif.

Puisque Marguerite Duras nous a amenés chez les dramaturges, poursuivons avec Bernard Marie Koltès. Il suffit de dire à voix haute quelques-uns de ses titres : Dans la solitude des champs de coton, La nuit juste avant les forêts, Combats de nègres et de chiens pour ressentir la poésie particulière qui entourent ses œuvres.

On peut aussi adorer un titre et haïr le contenu du livre. Si je suis très sensible à la syntaxe des titres de Jean-Luc Lagarce : J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne ou Du luxe et de l’impuissance, le simple fait d’assister à des représentations de ses pièces est pour moi un moment d’ennui insondable.

Il y a également des titres qui éclipsent tous les autres. Le rouge et le noir de Stendhal nous fait oublier qu’il a aussi écrit Le rose et le vert et aussi les plus prosaïques Mémoires d’un touriste, dépourvus de tout héroïsme, sans le moindre atome de Julien Sorel.

Le grand maître en la matière est à mon sens Pierre Desproges. L’ironie délicate qui s’échappe de tous ses titres joue avec les catégorisations génériques (dictionnaires, manuels, chroniques) pour aiguiser sa verve sardonique : Vivons heureux en attendant la mort, Manuel du savoir-vivre à l’usage des rustres et des malpolis, Les étrangers sont nuls, Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des biens nantis et autres Chroniques de la haine ordinaire.

Mais sans plus de transitions, passons du grandiose au médiocre.

** Séquence : Comment fabriquer un titre de mauvais best-seller ? **

Il convient de s’inspirer des : Je vais bien ne t’en fais pas, Où es-tu ?, Et si c’était vrai, Seras-tu là ? et autres niaiseries évocatrices sécrétées par des Guillaume Musso et Marc Levy. En suivant cette composition de titre à base de litotes, d’anacoluthes et de formules de la vie quotidienne de type « ce que je dis quand je réponds au téléphone », on peut facilement créer un ouvroir à titres niais : Un jour, les autres, ou bien : Hier, j’étais là. Usez et abusez des points d’interrogation et du mielleux racoleur. Mon préféré, composé à plusieurs mains avec des amis alcoolisés et fortement inspirés, demeure : Si eux oui alors peut-être ?

Voilà, je l’avoue, c’était une vocation dès l’enfance, je voulais être titreuse de romans.

De mon amour des titres vient peut-être mon affection pour les bibliothèques, qui sont presque des musées du titre, des rangées entières de phrases énigmatiques, comme autant de promesses.

5 Responses to “Pourquoi les titres constituent souvent la meilleure partie du livre ? Éloge de la lecture minimaliste”

  1. Camilleuh April 2, 2013 at 7:24 am #

    Ça me fait plaisir que tu trouve autant d’importance aux titres des livres!! C’est un aspect du roman qui a aussi beaucoup d’importance pour moi. “Le koala tueur” de Kenneth Cook, “La fée carabine” de Daniel Pennac ou “Printemps au parking” de Christiane Rochefort sont des romans que je n’aurais peut être pas choisis avec un autre titre… Je suis très également sensible aux titres courts “Océan mer” d’Alessandro Barrico est mon préféré je pense! En tout cas, je n’ai jamais lu Pierre Desproges, mais là j’en ai bien envie ^^
    Oh, comme titre nul, on pourrait avoir “M’aimeras tu autant quand je serais chauve?”, le roman qu’hésite à écrire BHL \o/

    • ermontrude April 2, 2013 at 5:57 pm #

      Oui je n’aurais certainement pas lu le “Koala tueur” sans son titre et tes recommandations. Du grand bonheur d’ailleurs, j’ai adoré ! J’apprécie aussi énormément les compétences de Pennac et de Barrcio en termes de titrage (surtout “Noveccento pianiste” je te le recommande si tu ne l’as pas déjà lu). Ils ont vraiment un fon pour les titres poético-énigmatiques… Et si tu veux te mettre à Desproges, je te conseille de commencer par “Les étrangers sont nuls”, ou d’écouter un extrait du tribunal des flagrants délires !
      Et je plussoie le ” M’aimeras tu autant quand je serais chauve ?” !

  2. juliettefiliol April 2, 2013 at 9:31 am #

    A quand un article sur les couvertures ? Il compléterait bien celui-ci et la couverture est, selon moi, aussi un élément déterminant dans le choix d’un livre, quoi qu’en dise le personnage d’homme-livre dans “Fahrenheit 451” de Bradbury, “Ne pas juger un livre sur sa couverture”.
    Comme toi j’aime les titres mystérieux, même si le livre par la suite ne répond pas toujours à mes attentes. j’ai toujours voulu lire “L’insoutenable légèreté de l’être” mais les premières lignes m’ont toujours stoppée.
    J’aime les titres de Zafon bien sûr, en particulier “L’ombre du vent”. Les titres que j’aime le plus sont ceux de Stefan Zweig, qui sont toujours une belle promesse : “La confusion des sentiments”, “Lettre d’une inconnue”, “Vingt-quatre heures de la vie d’une femme”…
    Même si je ne les est pas tous lus, les livres de Balzac ont souvent des titres qui m’ont attirée : “La recherche de l’absolu”, “Le lys dans la vallée”, “Splendeurs et misères des courtisanes”…
    Et j’en ai déjà parlé, mais les titres originaux de George RR Martin sont merveilleux : “A song of ice and fire”, “A feast for crows”…
    Voilà pour les titres qui retiennent mon attention. Il y en a peut-être d’autres, mais pour l’instant, ils ne me reviennent pas.

    • ermontrude April 2, 2013 at 6:01 pm #

      Concernant les couvertures, je crois que les deux tumblr que j’ai posté récemment sur les réseaux sociaux ont déjà fait tout le boulot pour moi, mais c’est une chouette piste paralittéraire !
      J’adore également les titres de Zweig et de Balzac, je ne sais pas pourquoi je n’ai pas pensé à les mettre, car la seule chose qui me motivait dans la lecture de “Splendeurs et misères des courtisanes” c’était son titre, au bout de 300 pages je gardais la foi car j’attendais toujours les fameuses splendeurs et misères (même si en l’occurence le livre pourrait très bien s’intituler “Misères des courtisanes” tant ça ressemble à “Nana” en plus glauque (oui c’est possible…)).

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  1. À quoi rêvent les écrivains ? | cinephiledoc - April 1, 2013

    […] que le dernier article de Eva la thésarde sur les titres de romans m’a bien fait rêver et m’a inspirée, […]

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