Ce matin j’ai voulu prouver que l’écriture poétique en vers avait plus à voir avec la bricole qu’avec l’inspiration d’une muse sibylline.
Pour faire vite : la poésie serait d’abord et avant toute chose du bricolage. Imaginez que chaque syllabe représente une vis, une planche en bois ou un clou et que le poète est le bricoleur qui fixe l’étagère Ikéa. Pour résumer, que ce soit sur 6 ou 12 pieds, il faut que ça tienne !
Comment ?
Si les clichés sur les poètes donnent à voir des individus inspirés par des synesthésies invisibles, les vers se construisent d’abord à grands renforts de compromis et de petits arrangements sur le sens, de type : « je ne trouve pas de mot qui rime avec quatorze alors c’est pas grave je vais changer la rime… » ou « je vais finir le vers avec fantasmagorique il y a plus de syllabes que fantastique, tant pis pour le sens, on s’arrangera dans le quatrain suivant… ».
Il serait également malhonnête de nier les technologies intellectuelles qui viennent en renfort quand l’imagination fait défaut : dictionnaire des rimes et dictionnaire des synonymes sont les deux piliers sur lesquels chaque hémistiche prend appui pour arriver jusqu’à la fin du sonnet !
Même si contre cette conception inspirée et idéelle de la muse inspiratrice, Boileau et Valéry mettent tour à tour en avant les rudes efforts du poète, force est de constater que la poésie en vers traîne derrière elle une bien morne image qui oscille entre le mièvre et le maniéré. Il n’y a qu’à taper poésie sur Google image pour voir apparaître des visuels suintant le mauvais goût et le cliché (plume, encrier, rose rouge, dauphin et clair de Lune comme autant de représentations surannées de l’inspiration…). Si vous demandez à un collégien (prenons-en un qui n’aime pas lire) ce que lui évoque la poésie en vers il vous répondra soit en mimant la bouche en cul-de-poule une envolée lyrique composée de mots de plus de quatre syllabes, soit en évoquant des transports amoureux aussi précieux qu’ennuyeux…
C’est cette conception stéréotypée de la poésie en vers, entièrement focalisée sur les aspects lyriques et emphatiques, que dénonce Brassens dans « Sauf le respect que je vous dois » :
« Fi des chantres bêlant qui taquinent la muse érotique
Des poètes galants qui lèchent le cul d’Aphrodite
Des auteurs courtois qui vont en se frappant le cœur
Parlez-moi d’amour et j’vous fous mon poing sur la gueule
Sauf le respect que je vous dois »
Or, je doute qu’Aragon en composant « L’amour qui n’est pas un mot » attendit gentiment que Calliope et Erato lui susurrent à l’oreille quelques mièvres octosyllabes…quel que soit l’état dans lequel ses poèmes nous transportent, celui qui suit a très probablement été composé en comptant sur les doigts :
« Prends ce fruit lourd et palpitant
Jettes-en la moitié véreuse
Tu peux mordre la part heureuse
Trente ans perdus et puis trente ans
Au moins que ta morsure creuse
C’est ma vie et je te la tends »
***Méthode pour produire de l’alexandrin au kilomètre
Quand il le faut, pour impressionner quelqu’un, dans un match de théâtre d’improvisation catégorie rimée, pour composer une chanson lors d’une occasion particulière, la composition rapide d’alexandrins est une compétence importante à rajouter à la catégorie « Divers » de votre CV. À force de composer des alexandrins (la plupart prosaïques, résolument kitsch et ironiquement emphatiques !) je me suis rendu compte qu’il existait des trucs, des astuces, des techniques répétitives pour rimer au kilomètre… J’ai hésité à en parler tant cet aveu m’excluait d’emblée du club très sélect des poètes inspirés…et puis j’ai décidé de montrer que le poète prosaïque était comme le bricoleur assis dans son garage au milieu de la ferraille, testant tel boulon, choisissant telle vis et finissant par tout raccommoder à la patafix…
***Vers le moindre effort…
Le truc pour rimer c’est…de ne pas chercher à rimer !
Je m’explique :
Si vous voulez écrire un poème vantant les mérites du spéculoos (et après tout pourquoi pas, il accompagne bien vos pauses café depuis dix ans !) il suffit d’écrire un vers sur deux.
Je propose pour cet exercice de se lover dans la forme moelleuse et réconfortante de l’alexandrin puis du sonnet. Le vers à 12 pieds étant celui qui mime le plus aisément le langage de tous les jours, on peut également le modeler facilement, lui donner un coup de hache à l’hémistiche ou le composer à partir de deux mini-phrases hexasyllabiques.
Exemple : Pour écrire le premier quatrain vantant le spéculoos, écrivez d’abord les deux phrases (de douze syllabes ! on s’occupera de l’hémistiche et des synérèses plus tard…) qui vous viennent en premier à l’esprit, les plus simples possibles :
Elle peut se vanter la fière Belgique
D’offrir le spéculoos, ce biscuit savoureux
À la suite de ces deux premiers vers, rajouter deux vers qui disent exactement la même chose, de la paraphrase en somme (oui celle-là même qui vous était reprochée en commentaire de texte en cours de français…) avec des rimes croisées ou suivies. Ce qui est moins compliqué que de suivre la syntaxe de la phrase de vers en vers :
Elle peut se vanter la fière Belgique
En plus de proposer des bières fantastiques
D’offrir le spéculoos, ce biscuit savoureux
Ce cristal de cannelle aux parfums délicieux !
Et voilà, vous avez composé un quatrain !
Mais puisque l’on paraphrase gaiement en rajoutant aux deux premiers vers des compléments arbitraires, cela aurait pu également être :
Elle peut se vanter la fière Belgique
Le plat pays dont Brel peint les airs mirifiques
D’offrir le spéculoos, ce biscuit savoureux
Cette agape divine, un gâteau merveilleux
Attention cependant à ne pas abuser de la technique trop longtemps. À force de diluer le sens dans le synonyme et le redoublement sémantique cela finit par ressembler à de la soupe paraphrastique. Pour éviter cet écueil, songez à passer du temps sur le site du dictionnaire des rimes et du dictionnaire des synonymes pour enrichir votre lexique déjà cruellement répétitif, et hop ! Offrez ça au destinataire qui n’y verra que du feu et vous prendra pour un authentique poète inspiré !
***Lire pour écrire
Pour aller plus loin et se mettre à penser en alexandrins, la méthode est hélas moins empirique… Seule l’habitude paie et c’est après avoir lu et butiné une énorme partie des œuvres de Corneille, Racine, Rostand, Aragon, Hugo, Du Bellay, Molières, Ronsard, Corbières, Apollinaire, Baudelaire et Rimbaud (et accessoirement bachoté un Capes de lettres après des études de théâtre) que la petite musique de la rime devient automatique…
Peu à peu, on se détache du modèle « Un vers / une paraphrase » et le sonnet prend une forme plus cohérente, les vers se suivent syntaxiquement jusqu’à former des phrases plus harmonieuses qu’un simple redoublement flemmard. C’est le cas de ce sonnet qui prend la forme (toujours aussi kitsch et emphatique !) d’un éloge panégyrique au sirop d’érable :
Tour à tour onctueux, tour à tour sirupeux
Tous les matins surgit le beau liquide ambré
Il s’étend je le vois, et d’un air malicieux
Répand sur les pancakes ses délices dorés
Il coulera toujours dans le fromage blanc
Il coulera, bien sûr, de son écorce aimée
Il accourt, rutilant, flamboyant, rougeoyant !
Il coulera enfin, sur des bagels grillés
Puisses-tu, doux sirop, conserver ta douceur
Puisses-tu, je t’en prie, déployer tes saveurs
Enchanter nos journées, de tes gourmands attraits !
Puisses-tu enlever des matins la douleur
Puisses-tu essaimer cet ambre dans nos cœurs
Et par pitié à prix décent t’exporter !
***Mordre la main qui nous nourrit
Après avoir bien joué avec l’alexandrin il arrive qu’on le délaisse. Plaisant les premiers jours, il nous semble alors encombrant, traînant, mou comme un teckel asthmatique, il ressemble trop à une phrase stylisée alors qu’on voudrait bien plus se frotter à la concision exacerbée d’un hexasyllabe mystérieux… Comme à Hugo, nous vient l’envie de tordre le coup à « ce grand niais d’alexandrin » comme d’y faire entrer des termes prosaïques :
« C’est horrible ! oui, brigand, jacobin, malandrin,
J’ai disloqué ce grand niais d’alexandrin ;
Les mots de qualité, les syllabes marquises,
Vivaient ensemble au fond de leurs grottes exquises,
Faisaient la bouche en cœur et ne parlant qu’entre eux,
J’ai dit aux mots d’en bas : Manchots, boiteux, goitreux,
Redressez-vous ! planez, et mêlez-vous, sans règles,
Dans la caverne immense et farouche des aigles ! »
Et puis l’hexasyllabe devient lui aussi trop long, on veut du court, du bref, du subtil, du concis, on veut saisir le réel en quelques phonèmes, on en arrive au haïku, alors sans plus gloser je replie mes foutaises et vous laisse sur celui-ci :
Elles rient beaucoup
Dans les fontaines d’été
Parfum de cannelle
Source image : Poytner Erato muse of poetry