Si la plupart des métaphores désignant la thèse sont en lien avec des activités solitaires, dangereuses et laborieuses telles que le saut à l’élastique ou la traversée du désert, qu’en est-il en revanche de la substance de votre objet de recherche ?
Quels mots emploieriez-vous pour en déterminer la texture, le poids, la température ?
Sans plus attendre et pour combler ce vide (injustement !) béant à ce sujet, je proposerai ici une typologie empirique de ces substances en utilisant un système de classement dont quatre grandes polarités baliseraient la texture de la thèse : le visqueux, le sec, le vaporeux et le liquide.
Je présenterai les classements du plus visqueux au plus limpide.
Le riz au lait à la super-glu
Quand l’esprit n’est pas clair mais qu’il s’agit de faire dialoguer plusieurs théories, quand il faut articuler plusieurs résultats antagonistes et que l’angoisse de la page blanche guette le doctorant exténué, on a souvent l’étrange sentiment de pédaler dans de la semoule, de la boue, du sable mouvant voire du gruau.
Lorsque je n’arrive pas à définir certaines notions, j’ai très souvent l’impression de nager dans du riz au lait trop cuit dans lequel on aurait rajouté du miel et de la mélasse : je n’arrive pas à avancer, rien n’est vraiment clair, chaque concept est à renégocier. Plus je m’agite, plus je m’enlise. Parfois j’aperçois la lumière au bout du pédalo et l’objet de recherche devient plus ferme, plus tangible : les idées à développer m’apparaissent alors comme une mer de flocons d’avoine al dente, on pourrait presque se risquer à marcher dessus. François Pagès, quand il s’amuse à se faire passer pour Jean-Baptiste Botul, a inventé le concept de la métaphysique du mou, sorte de phénoménologie perceptivement folle qui propose de penser en profondeur les caractéristiques du mou. Et en effet, le cerveau semble parfois tellement rempli de yaourt que les textes qui en sortent ont la même cohérence qu’un fromage blanc. En termes de rhéologie, la thèse ne s’écoule pas, elle bouche plutôt les tuyaux de l’évier.
Qu’arrive-t-il si nous la passons au sèche-cheveux ?
Le désert de sable
À l’inverse, les idées qui nous viennent en temps de frugalité conceptuelle donnent parfois des textes arides, des textes qui manquent d’eau, réduits à la portion congrue. On tente de développer, d’expliquer, mais la pensée demeure désertique, une terre dure. C’est rugueux, ça gratte parfois. On tente une respiration, on s’étouffe avec du sable.
La traversée du désert.
L’air sans ailes
Volatile, vaporeux, éphémère, on sent que l’idée du siècle est là, toute proche, mais on n’arrive pas à l’attraper. On agite les bras mais on ne vole pas dans le monde des idées. On brasse du vent. On implore en vain le plotinisme de nous élever vers la connaissance mais nos conclusions restent prosaïquement terre à terre.
Qui a recousu les habits et la peau de Frankenstein ?
Arrivé à un certain seuil d’accumulation des connaissances, un danger guette : ce sont souvent les mêmes mots qui reviennent, toujours les mêmes formulations, pour aller plus vite.
Une fois que l’on a énormément écrit, que le nombre de documents s’empile sur, sous et à côté du bureau, il existe une technique pour gagner du temps qui consiste à recycler des paragraphes tout prêts et à les copier-coller. Au départ on fait ça avec quelques lignes…
Pourquoi réécrire la partie sur la méthodologie pour le colloque du CFAS si on a déjà un paragraphe qui irait parfaitement dans cet ancien texte écrit pour des doctorales d’il y a deux ans ?
Et à la suite, pourquoi ne pas recopier le résultat utilisé en séminaire de labo, il est déjà tout prêt ? Il suffira de soigner les transitions.
Cet usage incessant du copier-coller pour gagner du temps finit par créer dans le cerveau une gymnastique étrange. Une nouvelle compétence se développe, elle consiste à se demander où est situé dans notre disque dur le paragraphe qui remplirait parfaitement le vide dans ce nouveau texte. Mais cette habileté à la mosaïque textuelle donne au document l’apparence d’un habit d’Arlequin…tout est cousu, décousu, recousu, on a beau peaufiner les transitions, rajouter une couche de métadiscours pour expliquer où on va, le texte n’est plus une peau lisse mais une succession de cicatrices, de sutures qui viennent dénoncer le honteux collage de ce texte-Frankenstein. On a collé un bras, raccommodé une main, par gain de temps, sans savoir ce que devient cet organisme dans ce copier-coller démiurgique.
Cristallisation sucrée
Si le phénomène du texte-Frankenstein arrive souvent, il est la plupart du temps bien recousu et reste présentable. Ce qui est triste en revanche, ce sont les professeurs qui ne font plus que ça, qui récitent par cœur la même présentation, les mêmes expressions. Ils baignent dans leurs champs lexicaux tannés d’avoir trop servis, répètent inconsciemment les même syntagmes tant et si bien qu’on a l’impression d’avoir devant nous des professeurs confits dans leur jargon, tout cristallisés de sucre. Un manque d’hygiène de l’écriture et hop ! on se retrouve à barboter dans une confiture de mots.
Eau, pureté, naïades et ondines
Heureusement il y a des consistances plus émouvantes. Les jours où ma thèse m’apparaît comme liquide sont des jours fastes. Tout coule de source, c’est limpide, c’est un liquide doux et clair qui ondule devant les yeux et se mêle à l’encre du stylo, encre qui va naturellement couler sur le papier et noter à jamais des mots justes. Tout vous apparaît alors clair et simple, fluide et soyeux, votre problématique a un sens, vos différentes parties s’imbriquent sans que vous ayez besoin de bâtir des transitions boueuses et douteuses pour colmater les trous épistémologiques, vous êtes heureux, vous ne regrettez plus de vous être inscrit en thèse. Cela peut aussi prendre la forme d’un geyser inattendu et motivant. C’est comme si une riante naïade vous avait montré du doigt une source providentielle : regarde c’est simple, et c’est là, devant toi !
Ces états de grâce sont rares, mais c’est en les ressentant que le courage nous souffle dans le dos.
Lune de miel et de feu
C’est brûlant c’est palpitant, vous avez des étincelles qui partent dans tous les sens, les hypothèses fusent, les théories s’entrechoquent, c’est le début d’un processus, on a l’impression d’écrire quelque chose d’inédit, c’est passionnant, on est heureux ! On se sent un peu comme Héphaïstos en train de forger la foudre. Il y a de l’énergie dans cette euphorie du début, boulimie d’ouvrages et yeux grands ouverts. C’est souvent le début de la thèse. Certains appellent ça la période de la Lune de miel.
On le sait, hélas, cette période ne dure pas trois ans…mais elle resurgit parfois, comme un vieux couple qui se remémore les bons souvenirs de leurs premiers émois.
Vous vous rappelez ?
Oui, vous vous rappelez. C’est un peu pour ça qu’on arrive à continuer je crois, malgré le riz au lait gluant, malgré des concepts vaporeux et malgré le fromage blanc à la place de la problématique.
Alors je vous laisse sur ce souvenir.
***et je vous souhaite beaucoup de geysers dans l’écriture !***
Je dirais que le mien a la consistence du homard. Sans coquilles, et pas cuit.
Et avec un gros manque de sommeil aussi non ? ** Why not dormir ??**
^_^
J’aime beaucoup tes métaphores 😀 c’est vraiment bien trouvé et très drôle^^
Ravie d’avoir inspiré ton intro 🙂
Tis
Haha !
Bravo pour le dessin du saut à l’élastique, ça retranscrit très bien les étapes initiatico-traumatiques de certains moments de la thèse, comme le premier colloque universitaire ou le moment où on se rend compte qu’il n’y a pas de buffet gratuit après ledit colloque !^_^
Ce sont les thésards en Chimie qui doivent avoir la solution à nos problèmes, eux qui cherchent à obtenir le bon précipité de la bonne couleur, la nouvelle consistance révolutionnaire pour le boudiboulga de nos rêves.
Très bonnes images. À quelques mois de la soutenance, la texture de la mienne c’est celle d’une planche de bois pelucheux, d’apparence rigide mais fragile au contact, que je n’en finis pas de polir et de poncer mais qui reste pleine d’échardes malgré tout…