Archive | September, 2013

Du chat de Schrödinger à Sheldon Cooper. Pourquoi la physique quantique est-elle devenue mainstream ?

30 Sep

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« Mais est-ce que la physique quantique a un rapport avec Kant ? » m’a un jour demandé une amie.

Aujourd’hui, quel non-physicien saurait définir l’adjectif « quantique » de façon simple et décrire quelques expériences majeures de cette discipline sans faire un gros raccourci à base de boutades sur le chat de Shrödinger ?

C’est un fait avéré, si l’on ne prend pas le temps de faire une recherche approfondie, les représentations de la physique quantique sur internet ont tendance à se réduire à une photo de chat dans un carton.

Faisons l’expérience, tapons « physique quantique » sur Google image.

Qu’obtient-on comme résultats ?

-Une photo de manuscrit plein d’équations

-Un schéma d’un chat dans un carton

-Un dessin d’atome en mauvaise image de synthèse

-La première de couverture d’un ouvrage intitulé « De la physique quantique à la spiritualité » avec des halos photoshop kistchement bleus tout autour

-Un dessin de boule de pétanque dans une toile cirée (qui est censé représenter une des théories de la relativité et n’a donc a priori aucun rapport avec la quantique !)

Afin d’y voir plus clair dans ce marasme de représentations disparates, je suis allée chercher un physicien quantique. Après avoir franchi les portes de l’université Paris 11, il a fallu me faufiler dans les couloirs interminables du laboratoire Aimé Cotton, peuplé de scientifiques à la masse capillaire géométriquement variable. J’ai pris celui qui ressemblait le plus au Dr Emmett Brown et lui ai dit :

« Je ne sortirai pas d’ici sans avoir compris ce qu’était la physique quantique ni pourquoi quand on cherche des infos sur internet on tombe sur des photos de lolcat dans des cartons ? »

En échange, je lui ai promis une figurine de Sheldon Cooper et une caricature de l’approximation d’Oppenheimer.

Il a pris le temps de tout m’expliquer avec une clarté incroyable et c’est pourquoi je propose ici un récit vulgarisé de quelques expériences déconcertantes de la physique quantique, qui iront assurément plus loin que celles de Shrödinger.

En effet, cela n’aura pas échappé à l’œil acéré du procrastinateur, de plus en plus de mèmes internet diffusent des blagues sur l’expérience du chat de Schrödinger mort vivant, celui-ci étant devenu définitivement mainstream, c’est-à-dire inscrit dans la culture populaire.

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Une question se pose alors : pourquoi cette branche de la physique est-elle propice à la vente de tee-shirt « Shrodinger cat wanted : dead AND alive » et non la mécanique des fluides ou la thermodynamique ?

Outre le fait que les blagues sur le chat de Shrödinger allient la popularité de l’humour lolcat à l’érudition scientifique chère à la plupart des geeks, nous pouvons trouver d’autres raisons à ce phénomène de popularisation.

***De la physique à la lolphysique
D’une part, le protocole de l’expérience du chat est facilement explicable puisqu’il s’agit d’une expérience de pensée et non une expérience effective. En effet, l’agonie quantique d’un chat dans une boîte est plus facile à concevoir qu’une équation illustrant la superposition d’états atomiques.

L’expérience de pensée est une façon de résoudre un problème, qu’il soit physique ou philosophique, en utilisant la seule imagination humaine, en se demandant « Que se passerait-il si ? ». L’une des plus connues est celle du paradoxe des jumeaux dans l’espace développée par Langevin pour vulgariser la théorie de la relativité restreinte d’Einstein. L’expérience de pensée serait à la physique expérimentale ce que la parabole est aux Évangiles : une façon d’expliquer concrètement des concepts complexes en substituant un récit imagée à une équation.

Ainsi, l’exemple du chat à la fois mort et non mort est une expérience de pensée conçue par Erwin Shrödinger en 1935 pour expliquer au public la notion de superposition d’état à l’échelle microscopique dans le champ de la mécanique quantique et pour montrer la difficulté de son passage à l’échelle humaine.

Cette expérience de pensée est relativement simple : on place un chat dans une boîte en compagnie d’un atome radioactif qui doit déclencher lors de sa désintégration un dispositif permettant de casser une ampoule de cyanure et de libérer ainsi le gaz mortel. Comme il est possible en mécanique quantique, pour un atome, d’être à la fois désintégré et non désintégré, le processus se trouve donc à la fois déclenché et non déclenché, et le chat se retrouve alors dans une superposition d’états : mort ET vivant. Cette expérience de pensée qui contredit le principe de non-contradiction a depuis été fréquemment réalisée avec des atomes, des ions, des photons, en laboratoire (notamment par le dernier lauréat du prix Nobel de physique, Serge Haroche) afin de confirmer le fait qu’un atome pouvait être dans deux états à la fois : excité et non excité.

Pourquoi ces expériences sont-elles révolutionnaires ?

Elles remettent en cause une grande partie des lois de la physique classique établies par Galilée et Newton et foutent un joyeux bordel entre les lois de la physique atomique et de la physique à l’échelle humaine.

Pour résumer, les lois de la physique s’appliquent partout de la même façon (qu’il s’agisse des planètes ou des cellules humaines) mais il se trouve qu’on perd les propriétés quantiques des atomes quand on passe à des échelles plus grandes. C’est cette énigme que la physique actuelle cherche à comprendre, l’expression « physique quantique » s’occupant donc des quanta qui sont des quantités élémentaires dont certaines sont observables à l’échelle atomique.

En outre, et c’est là que ça devient intéressant (et que les fans de SF se réveillent !) quelques physiciens tels que David Deutsch et Hugh Everett supposent que l’expérience de pensée du chat de Shrödinger ouvre la voie à des interprétations concernant les univers multiples. Ils imaginent qu’il existerait deux univers parallèles : l’un dans lequel le chat serait mort et l’autre dans lequel le chat serait vivant.

La réception de l’expérience est donc intéressante sur ce point : les images du chat à la fois mort et non-mort font fantasmer sur l’existence des mondes parallèles. Cela permet de faire des blagues sur Sliders : les mondes parallèles, de vendre des tee-shirts : « Schrödinger cat plays with string theory ! », de comprendre les blagues de Sheldon Cooper dans Big Bang Theory, le tout sans se taper les laborieuses équations… C’est une sorte de physique que l’on pourrait appeler la lolphysique, assurément plus exaltante que l’introduction à la rhéologie ou à la résistance des polymères.

En effet, si la majorité des films nous montre des rapports étroits entre les laboratoires scientifiques et les inventions fantastiques (De retour vers le futur à Avatar en passant par Jurassic Park), c’est qu’il y a un engouement pour une forme de « surnaturel rationnel » qui amène à un raisonnement empirique de type :

« Ce n’est pas vraiment raisonnable de croire à l’existence les mondes parallèles, mais puisque c’est scientifique, puisque c’est Shrödinger qui l’a dit alors on peut y croire quand même un peu », et c’est là que la physique quantique franchit le pas qui l’amène dans le domaine de l’imaginaire, du fictionnel et du divertissement.

D’ailleurs, il n’y a pas que la quantique qui fait rêver : certains aspects de la relativité comme l’expérience de pensée des jumeaux dans l’espace qui vieillissent à des vitesses différentes et les trous noirs qui (selon certains !) permettraient de voyager dans l’espace-temps rappellent bon nombre de films de SF et leurs scientifiques chevelus de type Dr. Emmett Brown.

Cependant, au-delà du très médiatisé chat mort-vivant, d’autres expériences de la physique quantique sont tout aussi intrigantes et seraient susceptibles de devenir mainstream.

***Quand la science n’a pas l’air scientifique…
Commençons par la poétique expérience des photons jumeaux.

Il s’agit d’une expérience de pensée élaborée par Einstein en 1935 dans le but de foutre en l’air la quantique (ce qui n’a hélas pas marché !) et réalisée par Alain Aspect à Orsay en 1982.

Deux photons, des particules lumineuses, sont créés simultanément (on les appelle à ce titre des « photons jumeaux ») puis éloignés l’un de l’autre. On observe alors que toute perturbation sur l’état d’un des deux photons perturbe immédiatement l’état de son jumeau, même s’ils sont placés à une très grande distance l’un de l’autre. Le record est détenu à ce jour par Anton Zeilinger sur deux photons éloignés de 143km entre deux îles des Canaries. Cette communication instantanée entre les deux photons implique un transfert d’informations plus rapide que la vitesse de la lumière (puisqu’il est instantané) ce qui est en contradiction complète avec la théorie de la relativité pour laquelle il ne peut pas y avoir de déplacement plus rapide que la vitesse de la lumière. Cela nous amène donc à revoir à la fois la théorie de la relativité, la notion d’espace (car qui dit communication instantanée dit remise en cause de la distance !) et permet d’envisager une certaine forme de téléportation d’informations.

Toujours dans ce domaine de mécanique quantique, des chercheurs travaillent également sur des aspects étonnants de la matière, notamment la dualité onde-particule.

Précisons de prime abord qu’un électron peut se comporter de deux façons différentes : comme une particule (à la manière d’une balle) ou comme une onde (à la manière des ondulations à la surface de l’eau quand on y lance un caillou). Prenons alors une paroi percée de deux trous, sur laquelle on envoie un faisceau d’électrons. Sur un écran d’observation situé derrière la paroi, on détecte l’impact des électrons qui ont traversé la paroi. On observe alors des figues d’interférence caractéristiques de la nature ondulatoire des électrons : tout se passe comme si les électrons étaient passés par les deux trous à la fois (!) comme le ferait une onde lumineuse se propageant dans toutes les directions. Cette découverte a notamment valu un prix Nobel à Davisson et Thomson en 1937. Le plus étonnant dans cette expérience, c’est que si on cherche à savoir par quelque moyen que ce soit, par quel trou l’électron est passé, on détruit les figures d’interférences sur l’écran d’observation. Autrement dit, si on cherche à détecter la position d’un électron et donc si on le force à se comporter comme une particule, il cesse de se comporter comme une onde ! A l’inverse, si on ne l’observe pas et si on laisse libre cours à sa nature ondulatoire, alors les figures d’interférence réapparaissent et les électrons recommencent à « passer par les deux trous à la fois » ! Ici les électrons se comportent comme de petits lutins malicieux qui changent de comportement en fonction de s’ils sont regardés ou non… Une pudeur de l’électron se laisse entrevoir dans ces taquineries quantiques.

Ce qui est intéressant c’est que dans l’imaginaire collectif ces expériences font davantage penser à des scénarios de science-fiction qu’au domaine universitaire.

Venons-en enfin à mon expérience préférée : l’effet tunnel.

Il a été prouvé que des atomes et des électrons pouvaient également se « téléporter » de l’autre côté d’une porte fermée. C’est une conséquence du caractère ondulatoire de la matière, c’est-à-dire que l’atome se comporte comme une onde (et non plus comme une particule) le temps de passer de l’autre côté de la porte et ensuite se rematérialise une fois passé de l’autre côté. Ainsi, une particule que l’on n’observe pas a tendance à se délocaliser et à posséder une « probabilité de présence » dans différentes régions de l’espace dont certaines qui lui sont théoriquement interdites, car elle n’a pas l’énergie pour y accéder, par exemple franchir une porte fermée. Dans ce cas, l’observation de sa position va la ramener à sa nature de particule (et non plus d’onde) et donc la projeter dans une de ces régions de l’espace. Épisodiquement, une particule va donc se retrouver dans une de ces régions interdites ! Des microscopes extrêmement performants, appelés « microscopes à effet tunnel » fonctionnent en utilisant ce principe.

Ces expériences que les chercheurs ne peuvent pas expliquer totalement sont celles qui ont le plus de chance de fasciner les passionnés car ces frontières de la connaissance intriguent terriblement.

Dans mon esprit, j’ai tendance à compartimenter le savoir dans des catégories « possibles » et « impossibles ». Dans « impossible » j’avais placé la téléportation d’information, excepté quand j’étais au cinéma. Les expériences de la physique quantique m’ont alors semblé un outil incroyable pour sonder l’imaginaire populaire et la frontière ténue que chacun négocie dans sa tête entre rationnel et improbable.

***Des recherches polémiques
Tout ce qui a été dit plus haut concerne la physique quantique et sont des résultats admis par l’ensemble de la communauté scientifique.

Mais comme je me suis engagée dans une démarche d’analyse du rapport entre science, fantasmes et SF, il y a d’autres domaines scientifiques qui abordent ces questions et que je souhaiterai évoquer, bien que tous ces chercheurs soient loin de faire l’unanimité.

En effet, certains chercheurs revisitent la méthode expérimentale en remettant en cause l’objectivité de cette méthode qu’ils définissent comme un protocole expérimental choisi par l’homme et donc foncièrement subjective… Les personnes qui travaillent là-dessus sont minoritaires mais ne sont pas forcément dénuées de formation scientifique.

***Ces physiciens borderline

A titre d’exemple, le prix Nobel de physique Brian Josephson s’appuie sur l’expérience des photons jumeaux précédemment citée pour amener le constat de la téléportation d’informations vers une théorie de la télépathie à l’échelle humaine. Aussi étrange que cela puisse paraître, en consultant sa page officielle sur le site de l’université de Cambridge, on trouve par ailleurs un lien vers ses études sur les relations entre physique quantique et paranormal.

Pourtant, s’intéresser à ces thématiques n’est pas anodin pour la carrière d’un physicien, le danger du « charlatanisme » guettant le chercheur qui s’éloigne du « scientifiquement correct » pour s’intéresser à des sujets moins ordinaires, qualifiés de « paranormal » par certains, « non académiques » par d’autres.

Quelles seraient alors les limites du « scientifiquement correct » ?

Où finit le crédible et où commence le fantaisiste ? Les prix Ig Nobel annuels rendent bien compte, à une échelle plus humoristique de cette compartimentation des sujets de recherches sur des échelles délimitées par des pôles axiologiques : utile/inutile, intéressant/farfelu, sérieux/ridicule, pour le bien de l’humanité/pour trois sociologues que ça intéresse…

Selon certains physiciens il y aurait des sujets tabous de la recherche scientifique. En effet leur hiérarchie peut leur interdire de s’intéresser à certains sujets jugés trop fumeux au point qu’ils se demandent : « Est-ce seulement interdit de se poser ces questions ? »

Il y aurait actuellement à déplorer le manque d’histoire des sciences et de philosophie des sciences dans les formations de physique à l’université, ce qui permettrait de prendre du recul sur les limites mouvantes du scientifiquement correct (« Quels thèmes étaient proscrits à telle ou telle époque ? »).

C’est donc l’occasion de faire le point sur quelques détails historiques !

***Alors tout est relatif ? Non !

Tous les physiciens admettent les résultats incontestables de la physique quantique, (même si elle n’est pas encore complète en ce qu’elle n’explique pas la gravitation) qui est considérée à l’heure actuelle comme la plus fiable et la plus précise des sciences exactes.

J’ai parlé jusque-là du caractère soudainement fun de la physique quantique. On observe aussi le même engouement pour les expériences de pensées de la relativité, bien que ces deux courants de la physique soient partiellement antagonistes.

De nombreux physiciens théoriciens cherchent à réconcilier ces deux approches en découvrant une théorie ultime, une sorte de théorie du grand tout (notamment la théorie des cordes sur laquelle travaille Sheldon Cooper et la gravitation quantique à boucles qui est le domaine de prédilection de Leslie Winkle). Cette quête de l’univers résumée en une seule théorie du grand tout donne à voir une « science pas vraiment scientifique » (au sens de scientiste ou positiviste) dans le sens où pour certains chercheurs elle est à la recherche d’une réponse spirituelle.

Il y a donc dans la physique quantique une volonté poignante de comprendre des principes permettant d’expliquer la totalité des lois qui régissent le monde, une volonté cognitive englobante, à l’échelle de l’univers, qui rappelle les mythes fondateurs de la religion se créant un passé pour se comprendre et ce qui explique notamment que l’on tombe sur ce genre d’images kitsch sur Google en tapant « physique quantique ».

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Et en effet, la découverte de la physique quantique m’a réconciliée avec la froideur apparente de cette science, et le récit de toutes ces expériences, au fur et à mesure qu’il ramollissait certaines idées reçues m’a profondément ému, m’a permis de reconsidérer le temps, l’espace et les questions métaphysiques à l’aune de repères inattendus.

Si beaucoup sont exaltés, certains sont au contraire effrayés par cette conception inaccoutumée des lois de l’univers, mais les réactions émotionnelles fortes que ces théories suscitent aident peut-être à comprendre l’écho monumental qu’elles ont dans le domaine de la culture populaire en ligne.

 

 

 

 

 

 

***On veut en savoir plus ! Quelques références

Le cantique des quantiques, est une lecture idéale ! On y découvre de fascinantes expériences de physique quantique (le chat de Schrödinger, les photons jumeaux, la téléportation d’informations, le caractère ondulatoire et délocalisé de la matière…). Un chapitre est également consacré aux physiciens qui ont travaillé sur des thématiques davantage contestées, comme David Bohm et Brian Josephson… L’auteur cite aussi les détracteurs et leurs arguments.

E=mC2 biographie d’une équation de David Bodanis. Certainement l’ouvrage le plus accessible et le plus fascinant pour comprendre le sens de cette équation déconcertante de brièveté. Pour les impatients, E=mC2 ça veut dire que la matière peut se transformer en énergie et inversement. Par exemple une petite quantité de matière (comme un atome) peut libérer énormément d’énergie lors d’une réaction nucléaire c’est-à-dire qui concerne le noyau de l’atome (c’est le fameux principe de la bombe atomique les gars !). L’ouvrage retrace l’histoire non pas d’Einstein mais de chacun des termes compris dans l’équation (E pour énergie, = pour égale, m pour masse, C pour célérité (vitesse) et 2 pour le carré en expliquant quand et commun chacun de ces termes a été découvert et diffusé). On apprend au passage comment toutes les femmes scientifiques qui ont participé au socle expérimental ou théorique permettant à Einstein de trouver la formule sont de pauvres cocues de l’histoire scientifique… Émilie du Châtelet et Lise Meitner ça vous dit moins de trucs que Poincaré, Leibniz, Oppenheimer, Voltaire et Lavoisier ? Et pourtant elles ont autant apporté à la science…

Que sait-on vraiment de la réalité ? Un film (adapté en livre) étonnant et très controversé qui donne la parole à de nombreux scientifiques qui s’intéressent au lien entre science et paranormal.

*Brimborions

Par pitié, arrêtons de dire « Tout est relatif » en citant Einstein…cela n’a rien à voir ! C’est en cherchant une forme d’absolu (les lois de la physique doivent être les mêmes quel que soit le référentiel) qu’Einstein a établi sa théorie dans laquelle est apparue la relativité du temps, d’où son nom. Mais en réalité, Einstein était dans une quête de principe absolu et fédérateur, donc à l’opposé de l’expression « Tout est relatif » au sens de : « Tout se vaut, tout dépend du contexte à l’échelle de l’univers mon petit problème administratif à la CAF n’a pas de sens… ».

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Peut-on insérer une structure narrative dans un haïku ? et autres tentatives de torsion littéraire

15 Sep

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En guise de prolégomènes et avant de résoudre l’épineux problème, je souhaiterais titiller quelques idées reçues à propos des haïkus, en citant allégrement celles que Philippe Costa dénonce dans son exquis Petit manuel pour écrire des haïkus.

On y apprend en effet que ce poème court japonais n’a rien d’un aphorisme zen et ne prétend pas divulguer un quelconque sens caché spirituel.

Le haïku ne serait donc rien d’autre qu’une image littéraire, un éclair visuel coulé dans des mots.

Il ne pense pas, il montre.

En tant que forme poétique ayant déjà été reprise et adaptée par des auteurs occidentaux tels que Paul Claudel ou Jack Kerouac, c’est donc un genre élastique, fluide et malléable, quelque chose que les chimistes rhéologues s’ils s’ennuyaient pourraient qualifier de fluide plastique. Par ailleurs, il n’est pas cantonné à la célébration de la nature et peut évoquer des thématiques diverses.

Donc oui, puisqu’il n’a rien de mystique, en le bourrant de sèmes, le haïku peut raconter une histoire de 17 syllabes, à la manière d’un micro-récit étroitement condensé.

Depuis longtemps animée par une volonté de torsion des formes littéraires (trouver une logique chez Ionesco, imaginer un Oulipien libre de toute contrainte ou produire de l’alexandrin kitsch au kilomètre) j’ai souhaité ici tenter l’expérience suivante : juxtaposer des haïkus indépendants (issus d’un recueil en cours d’écriture) pour voir si ensemble ils arrivaient à me raconter quelque chose.

Le résultat s’intitule Montréal hiver été. J’ai délibérément choisi de juxtaposer des haïkus qui laissaient apparaître une trame narrative qui sans être explicite laisse libre cours aux associations d’idées. Un prochain essai tentera de gommer ces ficelles pour qu’évoquer et raconter se confondent.

Montréal hiver été

Premier rendez-vous

Café aux fauteuils moelleux

Bob Dylan en fond

*

Fraîchement rasé

Les jeunes garçons aux joues

Ont quelques coupures

*

Elles boivent un latte

Chevelures innocentes

Les deux lycéennes

*

Le cidre cuivré

Plus enivrant que l’on croit

Traîtresse pomme !

*

Sortis du café

L’éternité dans la neige

Attendra le bus

*

Sous cette aérienne

Texture de leur neige

Regards débutants

*

Chapiteau d’étoiles

S’aimeront en silence

Malgré le sommeil

*

Soudaine attaque

C’est la pluie verglaçante

Bottes sont des luges

*

Le beurre fondu

Grésille dans la poêle

On fait des crêpes !

*

Premier jour de mars

Invasion invisible

Oh ! Les pâquerettes !

*

Et dimanche au parc

Les tam-tams qui vengeront

Tant de mois d’hiver

*

Envol de terrasses

La sangria au soleil

Rachel Saint Laurent

*

Festival gratuit

Le géant pléonasme

Montréal l’été

*

Partiel de philo

Calme. Dehors l’employé

Passe la tondeuse

*

Regard du barman

Sur les trois bières alignées

Un soleil se couche

*

Elles font trois pas

Les étoiles d’Orion

Sur la nuit bleutée

*

Ils font leurs adieux

Pourtant, le sourire aux lèvres

Ils se voient demain

*

Elle rit beaucoup

Dans les fontaines d’été

Parfum de cannelle

*

L’amour c’est pour eux

Les vacances de l’âme

Légers pas dans l’herbe

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(Pour les puristes de la métrique, j’ai utilisé un schéma 5/7/5 pour arriver à 17 syllabes, en m’autorisant selon les cas de figure à compter ou pas les e muets et à improviser des diérèses.)

Peut-on choisir son type de procrastination ?

3 Sep

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Quelles sont les meilleures conditions pour écrire sereinement et efficacement ?

Cette interrogation est née de la remarque de mon amie cinéphile : « Pourquoi est-ce qu’on imagine toujours l’écrivain à son bureau dans sa maison de campagne, avec un thé et un chat sur les genoux en train d’écouter du Mozart alors que la plupart du temps il griffonne sur un vieux prospectus pendant une conférence qui l’ennuie ou pendant qu’il fait un boulot alimentaire ? »

Plus sérieusement, qui écrit comme ça ?

Faisons tomber le mythe, je vais vous raconter une histoire d’écriture sportive, de procrastination guillerette et de chocapics.

« Tout est prêt. La tasse de thé chaï avec du miel de thym, le chat gris endormi sur les genoux, Fip en fond sonore, des stylos doux au toucher, un tas de feuilles blanches et surtout du temps libre. Les conditions parfaites sont réunies. Sauf l’inspiration, ou tout simplement l’envie d’écrire, qui ne se décide absolument pas à m’envoyer ne serait-ce qu’un ersatz de muse. Ce rectangle blanc, feuille A4, petit carnet à spirale clairefontaine ou document word, reste et restera immaculé.

L’angoisse de la page blanche, c’est surfait, moi j’ai l’angoisse de l’angoisse de la page blanche, une méta-peur si vous préférez. Alors pour ne pas risquer de provoquer cette angoisse, je n’organise JAMAIS toutes ces conditions idéales décrites plus haut.

Non, ce qu’il me faut pour déclencher l’inspiration, c’est une situation terriblement ennuyeuse, une sensation d’enferment où l’écriture me paraîtrait la seule échappatoire : la salle d’attente de la CAF, un séminaire sur l’utilisation de la norme ISO dans le catalogage partagé, un exposé laborieux sur la sensation de regrets chez Du Bellay par un élève de 5e. Acculée dans un ennui mortel, c’est seulement à cet instant que mon cerveau active la compétence « écriture ». Ce qui est terrible, car en plus d’être affreusement impoli pour les conférenciers, ces conditions ne sont pas du tout confortables pour écrire. Il faut cacher à ses voisins de table ses notes sur le huitième chapitre de roman et faire semblant de s’intéresser à la norme ISO. Je préférerais infiniment arriver à écrire chez moi, dans la douceur du chat angora qui vient jouer avec le bout de mon crayon, poser ses pattes sur le clavier et phagocyter impitoyablement le coin de la feuille blanche.

Bon an mal an, j’ai fini par accepter cette contrainte. Mais le second écueil, sournois, qui guette, c’est que le plus souvent je finis par m’intéresser à la conférence qui est donnée, aux affiches dans la salle d’attente de la CAF, et la situation ennuyeuse cesse bien vite de l’être.

Venons-en aux faits, je souffre d’un syndrome affreusement handicapant, celui de la lecture compulsive et de l’intérêt constant. Quelle que soit la situation, je ne peux m’empêcher de lire ou d’écouter lorsqu’un graphème ou un phonème traîne dans la pièce. Je lis tout, absolument TOUT, les affiches dans le métro, l’équation de mathématique abandonnée sur le tableau, les conditions d’utilisations en taille 6 tout en bas près de l’astérisque même si elle fait trois paragraphes et utilise des mots comme « nue-propriété, usufruit ou créance salariale », les BD débiles avec des jeux en faveur de l’environnement sur les paquets de Banania. Mon cerveau est le réceptacle idéal pour toutes ces stratégies marketing que j’exècre autant que j’assimile. Je connais par cœur toutes les devinettes au dos des Chocapics et je pourrais réciter le contenu des affiches portant sur le montant des amendes suites aux infractions dans RER B alors même que je n’ai pas mis les pieds à Paris depuis des mois. Pour peu qu’il y ait des lettres, je suis aspirée…
Et la norme ISO, à sa façon, finit par me captiver !

C’est bien sûr ce qui fait le fonds de commerce de la procrastination. Quand une tâche homérique nous semble insurmontable (à tout hasard écrire son grand œuvre) nous nous réfugions dans les tâches subalternes, par exemple faire la vaisselle, ranger sa bibliothèque selon les lois de Raganathan ou trouver la norme ISO captivante. Jamais je n’ai eu autant de bonheur à l’idée d’avoir du linge à étendre ou ma déclaration d’impôt à remplir que quand approchait l’échéance d’un article à rendre.

Ainsi, c’est trop tard, la norme ISO n’étant plus un sujet ennuyeux, malgré moi je rechigne à écrire. Il ne me reste plus qu’à trouver un nouveau champ disciplinaire assommant.

Et là, il y a bien des moyens de ruser : aller suivre des cours auxquels on ne comprend strictement rien, à défaut d’avoir les moindres clefs pour savoir de quoi on parle. J’ai intégré en douce les CM d’épidémiologie à la fac de médecine, je me suis incrustée au cours de fondement de la rhéologie, mais là encore les images du power-point me fascinaient tant que je les dessinais au lieu de me mettre à écrire. J’entrais alors dans la salle d’à côté, un cours de maths, me coulais dans une chaise du fond. Loin devant moi, un tableau rempli d’équations, l’abstraction pure, aucune chance de comprendre ou bien d’admirer puisqu’aucun sème ne vient chatouiller mon allèle procrastinateur.

Et puis est arrivé ce qui devait arriver.

Le professeur me voyant gribouiller négligemment au fond de la salle s’est énervé et m’a prié de passer sur-le-champ au tableau afin de résoudre l’amalgame de signes typographico-barbares qu’il enroule méticuleusement dans le mot équation.

Alors, je me suis approchée sans trembler du pupitre blafard et très lentement, je leur ai écrit au tableau la raison de ma présence ici, ma quête de l’ennui dans toutes les disciplines ainsi que les quatre premières phrases de mon roman. Les étudiants ont bien ri et le professeur m’a laissé m’installer au fond de la salle en échange d’un sac de chouquettes matutinal et d’une lecture à voix haute, à la fin de chaque cours, du dernier chapitre que je viendrai d’écrire.

J’étais somme toute passablement satisfaite de mon sort et contente de ma technique jusqu’au jour où, au fond de l’amphi dans lequel je donnais un cours palpitant sur le braconnage culturel, je vis un frêle étudiant inconnu gribouillant frénétiquement, semblant aspiré par l’écriture, alors même que tout l’amphi avait les yeux fixés sur le film que je leur projetais.

J’ai un peu râlé, mais je ne l’ai pas dénoncé, tout à ma joie de voir sa procrastination cicatriser. »

Brimborions
*Pour se guérir de la procrastination sans effort et sans culpabilité, c’est ici en anglais et ici en français*

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