En guise de prolégomènes et avant de résoudre l’épineux problème, je souhaiterais titiller quelques idées reçues à propos des haïkus, en citant allégrement celles que Philippe Costa dénonce dans son exquis Petit manuel pour écrire des haïkus.
On y apprend en effet que ce poème court japonais n’a rien d’un aphorisme zen et ne prétend pas divulguer un quelconque sens caché spirituel.
Le haïku ne serait donc rien d’autre qu’une image littéraire, un éclair visuel coulé dans des mots.
Il ne pense pas, il montre.
En tant que forme poétique ayant déjà été reprise et adaptée par des auteurs occidentaux tels que Paul Claudel ou Jack Kerouac, c’est donc un genre élastique, fluide et malléable, quelque chose que les chimistes rhéologues s’ils s’ennuyaient pourraient qualifier de fluide plastique. Par ailleurs, il n’est pas cantonné à la célébration de la nature et peut évoquer des thématiques diverses.
Donc oui, puisqu’il n’a rien de mystique, en le bourrant de sèmes, le haïku peut raconter une histoire de 17 syllabes, à la manière d’un micro-récit étroitement condensé.
Depuis longtemps animée par une volonté de torsion des formes littéraires (trouver une logique chez Ionesco, imaginer un Oulipien libre de toute contrainte ou produire de l’alexandrin kitsch au kilomètre) j’ai souhaité ici tenter l’expérience suivante : juxtaposer des haïkus indépendants (issus d’un recueil en cours d’écriture) pour voir si ensemble ils arrivaient à me raconter quelque chose.
Le résultat s’intitule Montréal hiver été. J’ai délibérément choisi de juxtaposer des haïkus qui laissaient apparaître une trame narrative qui sans être explicite laisse libre cours aux associations d’idées. Un prochain essai tentera de gommer ces ficelles pour qu’évoquer et raconter se confondent.
Montréal hiver été
Premier rendez-vous
Café aux fauteuils moelleux
Bob Dylan en fond
*
Fraîchement rasé
Les jeunes garçons aux joues
Ont quelques coupures
*
Elles boivent un latte
Chevelures innocentes
Les deux lycéennes
*
Le cidre cuivré
Plus enivrant que l’on croit
Traîtresse pomme !
*
Sortis du café
L’éternité dans la neige
Attendra le bus
*
Sous cette aérienne
Texture de leur neige
Regards débutants
*
Chapiteau d’étoiles
S’aimeront en silence
Malgré le sommeil
*
Soudaine attaque
C’est la pluie verglaçante
Bottes sont des luges
*
Le beurre fondu
Grésille dans la poêle
On fait des crêpes !
*
Premier jour de mars
Invasion invisible
Oh ! Les pâquerettes !
*
Et dimanche au parc
Les tam-tams qui vengeront
Tant de mois d’hiver
*
Envol de terrasses
La sangria au soleil
Rachel Saint Laurent
*
Festival gratuit
Le géant pléonasme
Montréal l’été
*
Partiel de philo
Calme. Dehors l’employé
Passe la tondeuse
*
Regard du barman
Sur les trois bières alignées
Un soleil se couche
*
Elles font trois pas
Les étoiles d’Orion
Sur la nuit bleutée
*
Ils font leurs adieux
Pourtant, le sourire aux lèvres
Ils se voient demain
*
Elle rit beaucoup
Dans les fontaines d’été
Parfum de cannelle
*
L’amour c’est pour eux
Les vacances de l’âme
Légers pas dans l’herbe
(Pour les puristes de la métrique, j’ai utilisé un schéma 5/7/5 pour arriver à 17 syllabes, en m’autorisant selon les cas de figure à compter ou pas les e muets et à improviser des diérèses.)
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Bonsoir Mademoiselle ou Madame. J’ai lu avec intérêt votre courriel qui m’a emmené sur votre blog. Je partage entièrement votre idée de raconter une histoire par une suite de haïku,. Je l’avais moi-même évoquée dans mon “Petit manuel pour écrire des haïku” en parlant d’écrire une biographie de cette façon, ce qui présenterait l’énorme avantage de véritablement “faire de la littérature” alors que le genre biographie est très controversé et à juste raison. Je me permet aussi de vous rappeler le haïbun qui est, à mon sens, le moyen le plus habile d’utiliser le haïku. En tout cas merci de votre intérêt pour mon travail. Quant au vôtre, je ne peux que sincèrement vous encourager à continuer. Meilleurs sentiments. Philippe Costa.