Archive | December, 2013

Modeste recette pour une belle une bande-annonce de livre

19 Dec

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Je suis toujours profondément déçue et choquée par la façon dont se fait la promotion d’un livre.

Que nous apprend-on généralement ?

Au dos de la quatrième de couverture, quelques mots laudatifs d’un autre écrivain ayant autorité en la matière, un résumé de l’intrigue fréquemment bourré de litotes frustrantes et si on a de la chance une citation éloquente de l’œuvre en question : voilà les infimes miettes narratives que l’on nous offre en pâture pour nourrir notre horizon d’attente de lecteur.

Parfois, sur une affiche dans le métro, un gros plan sur le visage de l’auteur – quand il est beau – affublé d’une citation de journaliste dans une typographie élaborée. Bien que l’on connaisse aujourd’hui les hilarantes astuces pour bien rater une photo d’écrivain, et qu’on se soit suffisamment gaussé devant les pauses coincées des chercheurs sur le tumblr PUF premier cycle, le ravage publicitaire de la mauvaise photo d’écrivain persiste.

Et si on infligeait le même traitement promotionnel aux films ?

Vous imaginez Avatar ou Gravity présentés au public à travers la photo du réalisateur sur laquelle on lirait une citation bienveillante de Libé ? Frustrant, non ?

Partons donc du postulat qu’il est cruel de priver le lecteur d’une belle bande annonce littéraire lors de la promotion d’un livre et remédions à cette injustice.

Prenons appui sur la définition la plus commune de la bande-annonce afin de voir ce que donnerait la transposition de ce mash up promotionnel dans le milieu littéraire.

« Bande annonce : une série de plans choisis dans le film annoncé dont objectif est d’inciter le public à aller voir le film ; ces extraits sont habituellement choisis et montés à partir des séquences les plus passionnantes, drôles, ou remarquables du film, mais sous une forme abrégée. Une voix off pourra servir de liant et de commentaire, expliquant et résumant le film.»

Si l’on suit le modèle du choix puis du montage d’extraits particulièrement seyants voilà à quoi on pourrait arriver dans la réalisation de la bande annonce d’un livre.

Pour l’expérience, j’ai choisi de réveiller le sympathique Nicolas Bouvier, son sublime livre de voyage où il retrace son périple de Genève à la Perse : L’Usage du monde, paru en 1963 semblant suffisamment stimulant pour que je le prête au jeu :

C’est la contemplation silencieuse des atlas, à plat ventre sur le tapis, entre dix et treize ans, qui donne ainsi l’envie de tout planter là. Songez à des régions comme le Banat, la Caspienne, le Cachemire, aux musiques qui y résonnent, aux regards qu’on y croise, aux idées qui vous y attendent.

(…)

Nous avions deux ans devant nous et de l’argent pour quatre mois. Le programme était vague, mais dans de pareilles conditions, l’essentiel est de partir.

(…)

Boire un verre sous les acacias pour écouter les Tziganes qui se surpassaient. Sur le chemin du retour, j’ai acheté une grosse pâte d’amande rose et huileuse. L’Orient quoi !

(…)

Nous étions nouveaux venus dans ces campagnes où rien n’arrive ; il fallait montrer patte blanche. On s’assit à leur table qu’on fît regarnir de vin, de poisson fumé, de cigarettes.

L’ambiance était redevenue cordiale. Je branchai l’enregistreur et la musique recommença. De vieilles complaintes. Des chansons frustres, excitées, vociférantes.

(…)

Aux deux tiers du parcours une lanterne balancée à bout de bras, et des troncs en travers de la piste nous obligèrent à stopper. J’entendis le patron parlementer avec un troupier, puis couper le moteur. C’était un bled ; impossible de réparer ici. Tout juste si on y trouva de quoi manger. Tout en émiettant ma galette dans un bol de lait aigre, j’observais nos camionneurs.

(…)

J’étais dans un café de la banlieue de Zagreb. Saadik venait constamment remplir nos verres en nous désignant des vieillards proprets qui s’inclinaient à leur table la main sur le cœur.

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Il fallut bien sûr photographier tout ce monde. Les filles surtout. Chacune voulait être seule sur l’image. Elles se poussaient et se pinçaient.

(…)

Dans le quartier baloutch : des échoppes si frêles exiguës qu’un homme robuste les auraient emportées sur son dos. Malgré cette rhétorique barbouillée d’aniline, la ville ne pesait rien. Aucune glu. Un fort vent l’aurait emporté. Elle tirait un grand charme de sa fragilité.

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Un jour, j’y retournerai, à cheval sur un balais s’il le faut.

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La nuit était bleue, le désert noir parfaitement silencieux, et nous, assis au bord de la piste, lorsqu’un camion venu d’Iran s’arrêta à notre hauteur.

(…)

Un voyage se passe de motif. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est lui qui vous fait, ou vous défait.

(…)

Bazar de Kaboul. Les poids des pierres tintent sur le plateau des balances.

(…)

Soixante kilomètres au nord de Kaboul s’étendent le massif de l’Hindou-Kouch. A quatre mille mètres d’altitude en moyenne, il traverse l’Afghanistan d’est en ouest soulève à six mille les glaciers du Nouristan et sépare deux mondes.

(…)

Nous retrouvions notre baraque chauffée à blanc par le soleil de la journée. En poussant la porte nous retouchions terre. Le silence, l’espace, peu d’objets et qui nous tenaient tous à cœur.

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