Dans les excellentes recensions de la BD de Tiphaine Rivière qui circulent sur le web, on glorifie le brio avec lequel l’auteure répond à la contrainte quasi-oulipienne de faire peser sur une doctorante toutes les scories possibles et imaginables dont regorgent les recoins de l’enseignement supérieur et la recherche : la précarisation de l’emploi, le comportement démissionnaire du directeur de thèse et les longues soirées solitaires à se battre contre sa propre procrastination…
Cependant, le véritable talent de cette BD réside selon moi dans l’exquis sarcasme dont l’auteure fait preuve pour décrire de façon acerbe et réaliste certains traits psychologiques des universitaires.
Entrons avec elle la ronde des péchés capitaux de la recherche.
***Des chercheurs narcissiques, égocentriques et isolés
Stanislavski disait à propos d’une actrice minaudante et cabotine : Elle n’aime pas l’art, elle s’aime elle dans l’art. On pourrait en dire de même de certains personnages de cette BD qui aiment davantage se voir évoluer dans le milieu de la recherche que d’accepter humblement le champ d’ignorance qui s’étend au-delà du domaine de leur spécialisation.
Le personnage de Karpov incarne l’archétype du chercheur brillant mais imbuvable qui cumule le narcissisme insupportable des artistes mégalomanes et des politiciens imbus d’eux-mêmes.
On y comprend que la recherche est un milieu fascinant, une terre de contraste psychologique pouvant comporter des pontes internationaux d’une modestie incroyable et des chercheurs qui utilisent la plupart de leur temps à mettre en avant leur dernier article avec des sourires crispants de candidats à la présidentielle américaine et qui font du Publish or perish une valeur cardinale les dispensant à l’occasion de toute rigueur scientifique.
La bataille de phylactères à laquelle se livrent Jeanne et sa collègue à la sortie d’un colloque, dans le but de récolter des commentaires sur leurs prestations respectives souligne également la complexité pour les chercheurs de nouer des relations sincères dans ce que David Lodge, le grand écrivain du Picaresque Universitaire nomme un Tout petit monde.
A ce titre, l’égocentrisme des doctorants n’est pas dissimulé : si la plupart des blogs de thèse dépeignent la souffrance des stations du chemin de croix doctoral et de l’incompréhension des proches face à la spécificité de ce travail maïeutique de 500 pages, peu de productions mettent en avant comme le fait Tiphaine Rivière les comportements égocentrés du doctorant : complètement confit dans sa recherche, il est capable d’en parler pendant des heures et de faire un lien entre le dernier Batman et la partie méthodologique de son dernier article.
Enfin, si la bande dessinée n’élude pas les moments d’euphorie liés aux périodes exaltantes et passionnantes de la thèse (car bien heureusement il y a !), elle a le mérite de rendre visible la solitude et l’isolement des doctorants ainsi que le caractère initiatique de la rédaction de la thèse.
La lecture des Carnets de thèse est une délicieuse purge cathartique où l’intégralité du petit monde universitaire est joyeusement dépeint : doctorants comme directeurs ne sont pas épargnés par cette satire graphique qui souligne en filigrane les aspects mesquins de ce milieu.
Je me souviens qu’au tout début de ma thèse j’ai pu sortir en larmes de certaines réunions de département, effarée par la violence symbolique des échanges.
Lire cette BD, c’est prendre du recul et c’est un peu reprendre des forces.
Je vais l’ajouter à la liste des suggestions de ma BU.
Sur la solitude des doctorants, lire : https://socio-logos.revues.org/2929