
Cet article part d’un constat aussi alarmant qu’actuel.
Pourquoi n’y a-t-il pas de chercheurs en linguistique dans la série The Big Bang Theory ? Si le portrait sarcastique qui est dressé de la recherche en sciences met en scène moult physiciens (théoriques, expérimentaux, astrophysiciens), des ingénieurs, une neurobiologiste et une microbiologiste, pourquoi alors afin d’agacer Sheldon Cooper ne pas avoir rajouté un chercheur en sciences humaines, même en personnages secondaires ? Les piques de Sheldon envers les humanités pourraient pourtant s’avérer bien cocasses.
Je pose donc clairement la question à vous, vous, vous et aussi vous au fond : pourquoi n’est-ce pas possible d’imaginer la Big Bang Theory avec des littéraires ?
Une première réponse ?
D’aucuns diront que les facultés de lettres n’ont pas le même fonctionnement que les écoles d’ingénieurs où les étudiants, soudés par la structure de l’école tendent plus facilement à développer idiolectes et jargons à travers des blagues fédératrices sur la science.
La raison principale vient du fait, à mon sens, que les blagues de littéraires ne sont pas vraiment mainstream.
J’ai essayé de trouver des blagues de littéraires, comme il y a des blagues de physiciens, et même en fouillant de mes doigts nus les entrailles des forums spécialisés du web, je n’en ai pas trouvé beaucoup…ou alors si quelques-unes mais pas très connues…en tout cas rien qui vaille les envolées de Sheldon Cooper.
*** T’es plutôt épanadiplose ou plutôt épanalepse ? ***
C’est étonnant car il y a pourtant bien une fascination des étudiants en lettres pour les figures de style. Ils chopent tous cette maladie à un moment où à un autre, en fac de lettres ou en classes prépa. Shootés à leurs « 128 les figures de style » qu’ils ont appris par cœur pour étudier Rostand, Rimbaud et Aragon, ils voient dans les éléments même du réel des myriades de figures de rhétorique. Et que je répète avec une joie sans fin les mots « concaténation » ou « prosopopée », et que je te sors que c’est une épanadiplose alors que c’est une épanalepse… Sans compter les jeux infinis sur la sonorité de ces termes merveilleux :
« Hypallage, ça me fait penser à une antilope africaine, un peu comme « impala », et toi ? Non moi c’est « concaténation » qui m’évoque un nom de maladie des articulations « Oui j’ai une concaténation au poignet depuis trois jours » ».
Sans compter que l’on peut déceler des figures de style au sein même des noms de figures de style ! Le mot assonance par exemple, par la répétition des sifflantes, est en soi une allitération, idem pour le mot prosopopée. Mais là nous entrons dans le champ de la méta-rhétorique et je vous conseille de ne pas trop y rester car à la nuit tombée on risque de se faire manger par un oulipien… Les oulipiens…parlons-en d’ailleurs… À part ces quelques farfelus du signifiant qui se sont bien amusés avec, personne n’a osé pousser les figures de style jusqu’au bout de leurs rôles emphatiques pour en faire quelque chose de franchement drôle. Rien n’a vraiment changé depuis Quel petit volé chromé au fond de la cour du grand Perec, (un court récit pouvant se vanter de réunir TOUTES les figures de style existantes !) et les Exercices de style de ce Grand Satrape de Queneau.
Le seul élément qui eut pu faire figurer les figures de rhétoriques au rang de culture mainstream est un groupe facebook intitulé « À quoi sert l’hyperbole ? À faire de l’hypersoupe ». Autant vous dire qu’on n’en est pas encore arrivé à la popularité des blagues de polytechniciens à base de « C’est logarithme et exponentielle qui vont au restaurant… ».
*** Vous n’êtes qu’une litote explicite ! ***
Emmenons alors ces pauvres figures au Pôle Emploi des usages courants. Hors des romans, hors des cours de stylistiques à la fac, que leur restent-ils comme espace vital ?
Essayons de les recycler dans des lettres d’amour !
(Le résultat est affligeant, je vous l’accorde)
« C’est toi ma métaphore aux mille comparants,
Mon allitération aux clairs sons redondants,
Mon chiasme croisé aux doux parallélismes,
Ma charmante litote contrant le prosaïsme
Tu viens au point du jour, comme cette anaphore, réveiller mon cœur lourd, le couvrir d’oxymores »
C’est bien triste mais je dois l’avouer, même en prose, ce n’est pas forcément plus glorieux :
« Avant toi je n’étais que la partie, aujourd’hui je suis le tout, ma tendre synecdoque. »
Si la lettre d’amour est un échec lourd, regardons du côté des lettres d’insultes :
« Militants de Civitas, vous n’êtes quel des syllogismes sans prémisses, des anacoluthes du cœur, des homéotéleutes qui finissent en « ule », des asyndètes du neurone, des litotes explicites, des métaphores misérablement dépourvues de référent, des rimes pauvres et de pauvres rimes en somme. »
Hélas je dois également avouer que même dans le domaine des blagues ce serait mentir que de dire qu’elles excellent :
« C’est Synecdoque et Métonymie qui vont au restaurant. L’une se blesse avec un verre de vin. Qui est-ce ?
C’est Métonymie car elle a confondu le contenant avec le contenu. »
(Je tiens à préciser que cette blague n’est évidemment pas de moi, elle a été écrite par Antaël Courtepage, jeune poète maudit qui s’est suicidé après que ses professeurs de l’école normale eurent découvert la médiocrité de ce trait d’esprit.)
Non, pas de reconversion professionnelle en vue pour mes chères allitérations, mes antonomases adorées, il semble qu’on ne puisse rien faire d’autres de ces figures que de les regarder à l’œuvre dans leur univers naturel, le langage, et de les admirer !
*** Zeugmons ensemble ! ***
Je vous parlerai donc de ma figure favorite, le zeugme.
Pour être sûre que tout le monde suit, une piqûre de rappel wikipédienne s’impose : « Le zeugme est une figure de style qui consiste à faire dépendre d’un même mot deux termes disparates qui entretiennent avec lui des rapports différents, en sous-entendant un adjectif ou un verbe déjà exprimé ». Le zeugme, au même titre que l’anacoluthe ou l’hypallage, fait partie de ces erreurs syntaxiques tolérées, qui ont le droit d’exister puisqu’on a décidé un jour de les appeler « figures de style » et non pas « erreurs de construction ». Il peut être syntaxique ou sémantique, comme en témoignent ces croquignolets exemples :
« Vêtu de probité candide et de lin blanc », « Une pizza au jambon et au centre commercial » ou encore « Elle remonta sa culotte et son réveil matin », « Sous le pont Mirabeau coule la Seine. Et nos amours » « Il faudrait faire l’amour et la poussière », qu’il soit manié par Zola, Apollinaire, Zazie, Renaud ou Desproges, le zeugme possède ce don drolatique de juxtaposer dans la même proposition deux réalités totalement différente. C’est une forme d’ellipse très pratique pour faire rire facilement. S’il est grammaticalement correct, il est toujours sémantiquement fou et c’est ce qu’on lui demande !
Ceux de Desproges mériteraient un article à part entière tant le bougre fabriquait les zeugmas à la chaîne :
« Après avoir sauté sa belle-sœur et le repas du midi, le Petit Prince reprit enfin ses esprits et une banane »
« Prenant son courage à deux mains et sa winchester dans l’autre, John Kennedy se tira une balle dans la bouche »
Au-delà de ces exemples, le zeugme permet de mettre en contact des mots et des syntagmes qui sans lui seraient restés injustement séparés par des propositions subordonnées.
Le zeugme lie, relie, réconcilie, c’est un peu le grand altruiste des figures de styles, le grand réunificateur du genre humain, le coq-à-l’âne institutionnalisé. Le zeugme, c’est la médiation thérapeutique contre la fracture sociale, c’est le soleil printanier qui pointe ses rayons sur le balcon de bois et dans nos cœurs secs alors que l’hiver se fait rude. Le zeugme c’est la musique de la fanfare qui résonne dans la ville endormie et dans les souvenirs des mamies de la maison de retraite. Le zeugme c’est celui qui donne une miche de pain et un sourire réconfortant au sans-abri engourdi.
Lorsque le glas sonnera, il n’y aura peut-être plus que le zeugme pour nous sauver.
Alors disons-lui merci.
Et surtout amusons-nous avec cette grande roue foutredieu ! On oublie parfois un peu trop qu’elle est faite pour ça :

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