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Modeste recette pour une belle une bande-annonce de livre

19 Dec

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Je suis toujours profondément déçue et choquée par la façon dont se fait la promotion d’un livre.

Que nous apprend-on généralement ?

Au dos de la quatrième de couverture, quelques mots laudatifs d’un autre écrivain ayant autorité en la matière, un résumé de l’intrigue fréquemment bourré de litotes frustrantes et si on a de la chance une citation éloquente de l’œuvre en question : voilà les infimes miettes narratives que l’on nous offre en pâture pour nourrir notre horizon d’attente de lecteur.

Parfois, sur une affiche dans le métro, un gros plan sur le visage de l’auteur – quand il est beau – affublé d’une citation de journaliste dans une typographie élaborée. Bien que l’on connaisse aujourd’hui les hilarantes astuces pour bien rater une photo d’écrivain, et qu’on se soit suffisamment gaussé devant les pauses coincées des chercheurs sur le tumblr PUF premier cycle, le ravage publicitaire de la mauvaise photo d’écrivain persiste.

Et si on infligeait le même traitement promotionnel aux films ?

Vous imaginez Avatar ou Gravity présentés au public à travers la photo du réalisateur sur laquelle on lirait une citation bienveillante de Libé ? Frustrant, non ?

Partons donc du postulat qu’il est cruel de priver le lecteur d’une belle bande annonce littéraire lors de la promotion d’un livre et remédions à cette injustice.

Prenons appui sur la définition la plus commune de la bande-annonce afin de voir ce que donnerait la transposition de ce mash up promotionnel dans le milieu littéraire.

« Bande annonce : une série de plans choisis dans le film annoncé dont objectif est d’inciter le public à aller voir le film ; ces extraits sont habituellement choisis et montés à partir des séquences les plus passionnantes, drôles, ou remarquables du film, mais sous une forme abrégée. Une voix off pourra servir de liant et de commentaire, expliquant et résumant le film.»

Si l’on suit le modèle du choix puis du montage d’extraits particulièrement seyants voilà à quoi on pourrait arriver dans la réalisation de la bande annonce d’un livre.

Pour l’expérience, j’ai choisi de réveiller le sympathique Nicolas Bouvier, son sublime livre de voyage où il retrace son périple de Genève à la Perse : L’Usage du monde, paru en 1963 semblant suffisamment stimulant pour que je le prête au jeu :

C’est la contemplation silencieuse des atlas, à plat ventre sur le tapis, entre dix et treize ans, qui donne ainsi l’envie de tout planter là. Songez à des régions comme le Banat, la Caspienne, le Cachemire, aux musiques qui y résonnent, aux regards qu’on y croise, aux idées qui vous y attendent.

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Nous avions deux ans devant nous et de l’argent pour quatre mois. Le programme était vague, mais dans de pareilles conditions, l’essentiel est de partir.

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Boire un verre sous les acacias pour écouter les Tziganes qui se surpassaient. Sur le chemin du retour, j’ai acheté une grosse pâte d’amande rose et huileuse. L’Orient quoi !

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Nous étions nouveaux venus dans ces campagnes où rien n’arrive ; il fallait montrer patte blanche. On s’assit à leur table qu’on fît regarnir de vin, de poisson fumé, de cigarettes.

L’ambiance était redevenue cordiale. Je branchai l’enregistreur et la musique recommença. De vieilles complaintes. Des chansons frustres, excitées, vociférantes.

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Aux deux tiers du parcours une lanterne balancée à bout de bras, et des troncs en travers de la piste nous obligèrent à stopper. J’entendis le patron parlementer avec un troupier, puis couper le moteur. C’était un bled ; impossible de réparer ici. Tout juste si on y trouva de quoi manger. Tout en émiettant ma galette dans un bol de lait aigre, j’observais nos camionneurs.

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J’étais dans un café de la banlieue de Zagreb. Saadik venait constamment remplir nos verres en nous désignant des vieillards proprets qui s’inclinaient à leur table la main sur le cœur.

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Il fallut bien sûr photographier tout ce monde. Les filles surtout. Chacune voulait être seule sur l’image. Elles se poussaient et se pinçaient.

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Dans le quartier baloutch : des échoppes si frêles exiguës qu’un homme robuste les auraient emportées sur son dos. Malgré cette rhétorique barbouillée d’aniline, la ville ne pesait rien. Aucune glu. Un fort vent l’aurait emporté. Elle tirait un grand charme de sa fragilité.

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Un jour, j’y retournerai, à cheval sur un balais s’il le faut.

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La nuit était bleue, le désert noir parfaitement silencieux, et nous, assis au bord de la piste, lorsqu’un camion venu d’Iran s’arrêta à notre hauteur.

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Un voyage se passe de motif. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est lui qui vous fait, ou vous défait.

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Bazar de Kaboul. Les poids des pierres tintent sur le plateau des balances.

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Soixante kilomètres au nord de Kaboul s’étendent le massif de l’Hindou-Kouch. A quatre mille mètres d’altitude en moyenne, il traverse l’Afghanistan d’est en ouest soulève à six mille les glaciers du Nouristan et sépare deux mondes.

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Nous retrouvions notre baraque chauffée à blanc par le soleil de la journée. En poussant la porte nous retouchions terre. Le silence, l’espace, peu d’objets et qui nous tenaient tous à cœur.

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Pourquoi les titres constituent souvent la meilleure partie du livre ? Éloge de la lecture minimaliste

1 Apr

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J’ai un peu honte de l’avouer mais ce que je préfère fréquemment dans les livres, ce sont leurs titres.

Quand on y pense, l’histoire des titres a toutes les raisons de fasciner le lecteur. N’est-ce pas incroyable de savoir que La nausée sartrienne s’appelait originellement Melancholia ? C’est l’éditeur qui a orienté Sartre vers ce nouveau titre. Or, en ayant entre les mains un ouvrage nommé Melancholia, la lecture du livre (et sa réception vraisemblablement) eut été totalement différente. On n’écoute pas assez ce que les titres ont à nous dire. Le titre est lu en premier et la suite de la lecture du livre sert à nous conforter dans l’explication du choix de ce titre. Les étudiants en littérature auront effleuré les concepts de contrat de lecture et d’horizon d’attente, mais pas plus…

Remédions céans à cette injustice. Je vais parler ici uniquement des titres des livres, tant je considère que ces métadonnées énigmatiques, véritables litotes prometteuses, sont des œuvres d’art à part entière. Parfois, je n’ai pas lu l’œuvre intégrale, mais je compte vaguement me protéger derrières les arguments ad hominem du grand Pierre Bayard, auteur du sublime Comment parler des livres que l’on a pas lus ?

Je profite de cet espace pour déclamer mon amour pour les titres longs. Quel petit vélo chromé au fond de la cour ? de Georges Perec a une place attitrée dans mon cœur. L’étonnant Quand Hitler s’empara du lapin rose de Kerr Judith attire également toute mon attention.

J’aime particulièrement les titres longs en ce qu’ils présentent des petits haïkus, des mini-nouvelles ou des micro-récits qui se suffisent presque à eux-mêmes ! C’est le cas du film Peindre ou faire l’amour. Est-il vraiment besoin de regarder le film puisque le titre nous dit déjà tellement sur les enjeux premiers ? Au contraire, certains titres sonnent comme des prophéties ou des sujets de dissertation. Le film de Valeria Bruni-Tedeschi : Il est plus facile pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille que pour un riche d’entrer au royaume des cieux est l’un d’eux.

J’ai également une préférence pour les titres d’ouvrages philosophiques. L’existentialisme est un humanisme de Sartre joue à résumer le propos essentiel du livre avec une sobriété presque impertinente. On pourrait croire que les romanciers sont les plus inventifs dans le domaine, or, il se trouve qu’il faut surtout saluer les philosophes !

**L’énigme des miettes philosophiques**

J’avouerai alors avoir un petit faible pour Kant… Les trois critiques m’apparaissent déjà comme une progression ternaire et dialectique à la fois fluide et soyeuse : critiquons la raison pure, la raison pratique et pourquoi pas la faculté de juger ! En 1793, il écrira un ouvrage dont le titre me ravit au plus haut point : Sur l’expression courante : il se peut que ce soit juste en théorie, mais en pratique, cela ne vaut rien. On vous aurait dit que l’auteur de l’essai était Queneau ou Perec, vous y auriez cru, hein ? De la même façon, son Projet de paix perpétuelle me laisse songeuse et je me réjouis à l’idée de lire ses Prolégomènes à toute métaphysique future qui voudra se présenter comme une science. Enfin, Sur un prétendu droit de mentir par l’humanité et Sur le mal radical m’apparaissent comme des titres de livres de Pierre Desproges.

Il y a des livres de philosophie dont le seul titre suffit à susciter des interrogations et qui feraient de bons sujets au bac de philo. Je dois pour cela citer Kierkegaard et son Post-scriptum aux miettes philosophiques, Nietzsche qui dans ses titres poétiques : Par-delà le bien et le mal, Généalogie de la morale, Le gai savoir atteint la forme la plus concise de questionnement éthique et ontologique. Mes favoris du même auteur demeurent : Vérité et mensonge au sens extra-moral ainsi que Considérations inactuelles. L’éthique à Nicomaque d’Aristote, enfin, me ravit par sa douce allitération.

Certains titres au contraire intriguent, comme Gros câlin de Romain Gary (que j’ai lu uniquement à cause de son titre) ou Histoires du pied de Jean-Marie Gustave Le Clézio.

Si ces derniers titres peuvent paraître inattendus, certains auteurs semblent s’astreindre au contraire à une constance stylistique dans leurs titres. Inutile d’aller jusqu’aux titres de la collection Harlequin ou de la collection Chair de Poule qui sont les plus faciles à plagier et subissent de nombreux pastiches. Le cas d’Amélie Nothomb est intéressant en ce qu’on peut facilement reconnaître ses romans à partir de leurs titres : Hygiène de l’assassin et Cosmétique de l’ennemi sont deux beaux exemples de parallélismes sémantiques. De la même façon, les titres de Marguerite Duras entretiennent tous le même mystère : Le ravissement de Lol V. Stein, Moderato Cantabile ou Des journées entières dans les arbres, des titres qui sentent bon le flou thématique et ne promettent rien de particulier sur le plan narratif.

Puisque Marguerite Duras nous a amenés chez les dramaturges, poursuivons avec Bernard Marie Koltès. Il suffit de dire à voix haute quelques-uns de ses titres : Dans la solitude des champs de coton, La nuit juste avant les forêts, Combats de nègres et de chiens pour ressentir la poésie particulière qui entourent ses œuvres.

On peut aussi adorer un titre et haïr le contenu du livre. Si je suis très sensible à la syntaxe des titres de Jean-Luc Lagarce : J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne ou Du luxe et de l’impuissance, le simple fait d’assister à des représentations de ses pièces est pour moi un moment d’ennui insondable.

Il y a également des titres qui éclipsent tous les autres. Le rouge et le noir de Stendhal nous fait oublier qu’il a aussi écrit Le rose et le vert et aussi les plus prosaïques Mémoires d’un touriste, dépourvus de tout héroïsme, sans le moindre atome de Julien Sorel.

Le grand maître en la matière est à mon sens Pierre Desproges. L’ironie délicate qui s’échappe de tous ses titres joue avec les catégorisations génériques (dictionnaires, manuels, chroniques) pour aiguiser sa verve sardonique : Vivons heureux en attendant la mort, Manuel du savoir-vivre à l’usage des rustres et des malpolis, Les étrangers sont nuls, Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des biens nantis et autres Chroniques de la haine ordinaire.

Mais sans plus de transitions, passons du grandiose au médiocre.

** Séquence : Comment fabriquer un titre de mauvais best-seller ? **

Il convient de s’inspirer des : Je vais bien ne t’en fais pas, Où es-tu ?, Et si c’était vrai, Seras-tu là ? et autres niaiseries évocatrices sécrétées par des Guillaume Musso et Marc Levy. En suivant cette composition de titre à base de litotes, d’anacoluthes et de formules de la vie quotidienne de type « ce que je dis quand je réponds au téléphone », on peut facilement créer un ouvroir à titres niais : Un jour, les autres, ou bien : Hier, j’étais là. Usez et abusez des points d’interrogation et du mielleux racoleur. Mon préféré, composé à plusieurs mains avec des amis alcoolisés et fortement inspirés, demeure : Si eux oui alors peut-être ?

Voilà, je l’avoue, c’était une vocation dès l’enfance, je voulais être titreuse de romans.

De mon amour des titres vient peut-être mon affection pour les bibliothèques, qui sont presque des musées du titre, des rangées entières de phrases énigmatiques, comme autant de promesses.