Peut-on choisir son type de procrastination ?

3 Sep

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Quelles sont les meilleures conditions pour écrire sereinement et efficacement ?

Cette interrogation est née de la remarque de mon amie cinéphile : « Pourquoi est-ce qu’on imagine toujours l’écrivain à son bureau dans sa maison de campagne, avec un thé et un chat sur les genoux en train d’écouter du Mozart alors que la plupart du temps il griffonne sur un vieux prospectus pendant une conférence qui l’ennuie ou pendant qu’il fait un boulot alimentaire ? »

Plus sérieusement, qui écrit comme ça ?

Faisons tomber le mythe, je vais vous raconter une histoire d’écriture sportive, de procrastination guillerette et de chocapics.

« Tout est prêt. La tasse de thé chaï avec du miel de thym, le chat gris endormi sur les genoux, Fip en fond sonore, des stylos doux au toucher, un tas de feuilles blanches et surtout du temps libre. Les conditions parfaites sont réunies. Sauf l’inspiration, ou tout simplement l’envie d’écrire, qui ne se décide absolument pas à m’envoyer ne serait-ce qu’un ersatz de muse. Ce rectangle blanc, feuille A4, petit carnet à spirale clairefontaine ou document word, reste et restera immaculé.

L’angoisse de la page blanche, c’est surfait, moi j’ai l’angoisse de l’angoisse de la page blanche, une méta-peur si vous préférez. Alors pour ne pas risquer de provoquer cette angoisse, je n’organise JAMAIS toutes ces conditions idéales décrites plus haut.

Non, ce qu’il me faut pour déclencher l’inspiration, c’est une situation terriblement ennuyeuse, une sensation d’enferment où l’écriture me paraîtrait la seule échappatoire : la salle d’attente de la CAF, un séminaire sur l’utilisation de la norme ISO dans le catalogage partagé, un exposé laborieux sur la sensation de regrets chez Du Bellay par un élève de 5e. Acculée dans un ennui mortel, c’est seulement à cet instant que mon cerveau active la compétence « écriture ». Ce qui est terrible, car en plus d’être affreusement impoli pour les conférenciers, ces conditions ne sont pas du tout confortables pour écrire. Il faut cacher à ses voisins de table ses notes sur le huitième chapitre de roman et faire semblant de s’intéresser à la norme ISO. Je préférerais infiniment arriver à écrire chez moi, dans la douceur du chat angora qui vient jouer avec le bout de mon crayon, poser ses pattes sur le clavier et phagocyter impitoyablement le coin de la feuille blanche.

Bon an mal an, j’ai fini par accepter cette contrainte. Mais le second écueil, sournois, qui guette, c’est que le plus souvent je finis par m’intéresser à la conférence qui est donnée, aux affiches dans la salle d’attente de la CAF, et la situation ennuyeuse cesse bien vite de l’être.

Venons-en aux faits, je souffre d’un syndrome affreusement handicapant, celui de la lecture compulsive et de l’intérêt constant. Quelle que soit la situation, je ne peux m’empêcher de lire ou d’écouter lorsqu’un graphème ou un phonème traîne dans la pièce. Je lis tout, absolument TOUT, les affiches dans le métro, l’équation de mathématique abandonnée sur le tableau, les conditions d’utilisations en taille 6 tout en bas près de l’astérisque même si elle fait trois paragraphes et utilise des mots comme « nue-propriété, usufruit ou créance salariale », les BD débiles avec des jeux en faveur de l’environnement sur les paquets de Banania. Mon cerveau est le réceptacle idéal pour toutes ces stratégies marketing que j’exècre autant que j’assimile. Je connais par cœur toutes les devinettes au dos des Chocapics et je pourrais réciter le contenu des affiches portant sur le montant des amendes suites aux infractions dans RER B alors même que je n’ai pas mis les pieds à Paris depuis des mois. Pour peu qu’il y ait des lettres, je suis aspirée…
Et la norme ISO, à sa façon, finit par me captiver !

C’est bien sûr ce qui fait le fonds de commerce de la procrastination. Quand une tâche homérique nous semble insurmontable (à tout hasard écrire son grand œuvre) nous nous réfugions dans les tâches subalternes, par exemple faire la vaisselle, ranger sa bibliothèque selon les lois de Raganathan ou trouver la norme ISO captivante. Jamais je n’ai eu autant de bonheur à l’idée d’avoir du linge à étendre ou ma déclaration d’impôt à remplir que quand approchait l’échéance d’un article à rendre.

Ainsi, c’est trop tard, la norme ISO n’étant plus un sujet ennuyeux, malgré moi je rechigne à écrire. Il ne me reste plus qu’à trouver un nouveau champ disciplinaire assommant.

Et là, il y a bien des moyens de ruser : aller suivre des cours auxquels on ne comprend strictement rien, à défaut d’avoir les moindres clefs pour savoir de quoi on parle. J’ai intégré en douce les CM d’épidémiologie à la fac de médecine, je me suis incrustée au cours de fondement de la rhéologie, mais là encore les images du power-point me fascinaient tant que je les dessinais au lieu de me mettre à écrire. J’entrais alors dans la salle d’à côté, un cours de maths, me coulais dans une chaise du fond. Loin devant moi, un tableau rempli d’équations, l’abstraction pure, aucune chance de comprendre ou bien d’admirer puisqu’aucun sème ne vient chatouiller mon allèle procrastinateur.

Et puis est arrivé ce qui devait arriver.

Le professeur me voyant gribouiller négligemment au fond de la salle s’est énervé et m’a prié de passer sur-le-champ au tableau afin de résoudre l’amalgame de signes typographico-barbares qu’il enroule méticuleusement dans le mot équation.

Alors, je me suis approchée sans trembler du pupitre blafard et très lentement, je leur ai écrit au tableau la raison de ma présence ici, ma quête de l’ennui dans toutes les disciplines ainsi que les quatre premières phrases de mon roman. Les étudiants ont bien ri et le professeur m’a laissé m’installer au fond de la salle en échange d’un sac de chouquettes matutinal et d’une lecture à voix haute, à la fin de chaque cours, du dernier chapitre que je viendrai d’écrire.

J’étais somme toute passablement satisfaite de mon sort et contente de ma technique jusqu’au jour où, au fond de l’amphi dans lequel je donnais un cours palpitant sur le braconnage culturel, je vis un frêle étudiant inconnu gribouillant frénétiquement, semblant aspiré par l’écriture, alors même que tout l’amphi avait les yeux fixés sur le film que je leur projetais.

J’ai un peu râlé, mais je ne l’ai pas dénoncé, tout à ma joie de voir sa procrastination cicatriser. »

Brimborions
*Pour se guérir de la procrastination sans effort et sans culpabilité, c’est ici en anglais et ici en français*

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11 Responses to “Peut-on choisir son type de procrastination ?”

  1. Zoidberg September 3, 2013 at 8:11 pm #

    Ahaha, moi la procrastination me pousse jusqu’au petit matin, où je me dis que quitte à s’être passé de sommeil (un blasphème suprême à religion) autant être productif. L’inspiration vient vers 3h du mat’ généralement sur une surdose de sucre et/ou cafféine 🙂 (tiens tu peux discuter de ça, l’apport de “l’alimentation” à l’inspiration…

  2. Fred September 3, 2013 at 9:24 pm #

    La procrastination a au moins ça de bien qu’elle nous permet de nous intéresser à tout, sans exception, du moment que ce n’est pas la tâche qu’on a à effectuer sur le moment 🙂

  3. Camilleuh September 4, 2013 at 2:57 pm #

    Ok, là j’ai envie de te prendre dans mes bras tellement je t’imagine en train d’expliquer à un prof de math que tu cherchais un cours dans lequel t’ennuyer! C’est magnifiquement toi! Comme l’IUFM et ses cours débiles doivent te manquer, c’était le cadre idéal! Et puis moi aussi je veux le lire ton grand oeuvre! C’est pas juste que tu partages avec des gens qui font des maths (je répéte, qui FONT DES PUTAINS DE MATHS) (désolé Fredichoupi) et pas avec tes coupines! Bouh!

  4. juliettefiliol September 8, 2013 at 3:39 pm #

    Tu as fait ça ? tu t’es incrustée dans un cours de maths ? Mais tu es une héroïne !
    Plus sérieusement, je partage ce sentiment de quête de l’ennui, ou plutôt cette manière absolument futile d’occuper le temps pour éviter de se retrouver devant sa conscience littéraire.
    J’imagine une épée de Damoclès : “Ecris, il le faut !” – Non, je peux pas, y’a…
    1) un avion dans le ciel ;
    2) oh, que c’est joli la crême fraîche qui fond lentement dans mon bol de soupe ;
    3) non, mais y’a les Zinzins de l’espace à la télé ;
    4) je peux pas, j’ai une lessive à pendre.”
    Voilà certainement un de mes articles préférés.
    Bon sinon, Camille, tu veux pas faire un blog ? 😉

  5. DM November 22, 2013 at 6:24 pm #

    Sans indiscrétion, le cours de maths, c’était un cours de quoi?

  6. Natacha January 20, 2014 at 11:42 am #

    J’ai trouvé un autre moyen de procrastiner sans trop de culpabilité : lire votre blog que je viens de découvrir. Les titres des articles m’amusent et leur contenu est vraiment intéressant. Je crois que je vais continuer un peu à procrastiner mon déjeuner chez vous…

  7. Café-Clope December 2, 2014 at 6:51 pm #

    Pas thésard pour deux ronds (dans l’eau, je suis trop flemmard) mais procrastinateur convaincu et pratiquant, j’adore!
    Et je reblogge.

    • Foutaises December 3, 2014 at 7:41 pm #

      Merci pour le reblog !
      La procrastination a de beaux jours devant elle on dirait ! :))

      • Café-Clope December 3, 2014 at 7:48 pm #

        De beaux lendemains, faudrait-il préciser! ^^

  8. Café-Clope December 2, 2014 at 6:52 pm #

    Reblogged this on Café-Clope and commented:
    Une super-trouvaille que je ne peux que partager icy-mesme.

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